jeudi 29 avril 2021

Film - Documentaire - « L’Epopée des gueules noires » - Une histoire qui appartient à la mémoire collective


 

« L’Epopée des gueules noires », une histoire qui appartient à la mémoire collective 

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C’est à une légende de la classe ouvrière que les deux réalisateurs Fabien Béziat et Hugues Nancy se sont attaqués à travers leur passionnant documentaire L’Epopée des gueules noires, diffusé dans le cadre d’une soirée spéciale consacrée à l’histoire du charbon en France. Si de nombreux documentaires ont été réalisés sur les mineurs, celui-ci a la particularité de retracer, dans une fresque ambitieuse s’étirant sur deux siècles, la saga héroïque de ces ouvriers sans lesquels la France n’aurait pas pu devenir une grande puissance industrielle.

A travers plusieurs entretiens avec d’anciens mineurs et des archives souvent exceptionnelles (dont les photos de Félix Thiollier qui, en 1900, réalisa plus de 700 prises de vue des mines du Forez), le film balaie l’histoire de ces gueules noires qui ont joué un rôle central dans les conquêtes ­sociales. Des images qui font aujourd’hui partie de la mémoire collective, largement popularisées par Emile Zola, dès 1885, à travers son roman Germinal. Dans le film, les paroles de ces mineurs racontent la sueur, la noirceur du charbon, la fierté et la colère de ces hommes et de ces femmes qui, pendant des années, ont répété les mêmes gestes sans voir leurs sacrifices récompensés.


Symboles de l’exploitation, ils se sont sans cesse battus pour améliorer leurs conditions de travail et de vie lors de grandes grèves réprimées dans le sang. Il y eut celle déclenchée après la catastrophe de Courrières (Pas-de-Calais) en 1906 – plus de 1 000 victimes –, qui imposa l’instauration d’un jour de repos hebdomadaire, et celle de 1948 où, après avoir envoyé l’armée, le gouvernement licencia 3 000 mineurs et en fit condamner des centaines à la prison ferme. On était loin de « la bataille du charbon », lancée en 1945, qui faisait des mineurs le fer de lance de la reconquête industrielle française. Soutenus par le général de Gaulle et Maurice Thorez, le secrétaire général du Parti communiste français, les mineurs n’avaient pas rechigné à la tâche.

Au rythme des coups de grisou


Dans son commentaire, l’acteur Jacques Bonnaffé souligne qu’avant la Grande Guerre, les familles qui possédaient les mines autour des métropoles françaises (Lille, Lyon, Marseille…) avaient embauché des centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants pour extraire les millions de tonnes de cet or noir dont la France avait besoin.

Exploitées et mal payées, ces gueules noires ont affronté la peur de descendre au fond, la chaleur étouffante, la poussière et la silicose, cette maladie respiratoire qui les emportait dans d’atroces souffrances. Une vie rythmée aussi par les coups de grisou qui ont fait des centaines de victimes. Les réalisateurs rappellent que la dernière catastrophe a eu lieu le 25 février 1985, au puits Simon à Forbach (Moselle) où, à 1 050 mètres de profondeur, la déflagration provoqua la mort de 22 mineurs et fit une centaine de blessés.


Après un long déclin commencé dans les années 1960, c’est en 2004 que la France a abandonné l’extraction de la houille avec la fermeture de la dernière mine de charbon exploitée, à la Houve, en Moselle. « Le tournant de la rigueur » en 1983, décrété par le gouvernement de Pierre Mauroy, alors premier ministre socialiste et maire de Lille, entraîna la fin des mines, la casse des ­chevalements, ces « cathédrales de fer », et le démantèlement des infrastructures minières. Une nouvelle fois, les gueules noires découvraient le chômage et la précarité.

Les deux réalisateurs racontent aussi comment, pendant un siècle, les différents gouvernements ont profité de l’immigration en faisant venir des hommes sur le sol français dans des conditions indignes. Ce furent d’abord les ­Polonais, que l’on déplaçait avec interdiction de faire grève ou d’être malade sous peine d’être rapatriés immédiatement au pays. Puis, ce fut au tour des Italiens de subir le même sort.


Dans les années 1980, comme aux temps des colonies, les patrons des Charbonnages de France envoyaient des émissaires au Maroc et en ­Tunisie, où ils recrutaient des hommes comme on achète du bétail. Photographiés et numérotés, les plus valeureux étaient envoyés dans les derniers puits et parqués dans des baraquements sans confort avec interdiction d’être malade ou syndiqué.A la frontière du mythe et de la réalité, tout au long de leur film, Fabien Béziat et Hugues Nancy nous replongent aussi dans la ­culture minière, qui s’est toujours déclinée entre solidarité, tradition et fierté. Ainsi, on écoute avec émotion les orchestres d’harmonie jouer leur musique au pied des terrils, on regarde en souriant ces anciens mineurs jouer aux quilles ou aux fléchettes dans les arrière-cours des derniers estaminets, tirer à l’arc vertical ou apprendre aux colombes à revenir dans leur cage.


Que ce soit dans le Nord, en ­Moselle ou dans le Tarn, personne ne renie sa vie de mineur. « Si c’était à refaire, je le referais. Tout de suite », dit Désiré Lefait, trente ans de mine à Oignies, dans le Pas-de-Calais. De son côté, Aimable Patin, vingt-cinq années de fond à Arenberg, dans le Nord, explique : « Si, lors de ma première journée de travail, on avait pu projeter le film de ma carrière en insistant sur les points forts, j’aurais dit d’accord. » Mais, s’inquiète Daniel Francke, vingt-quatre années de mine à Condé-sur-l’Escaut, dans le Nord : « Quand on ne sera plus là, qu’est ce qui va rester ? Que des vestiges. »

 

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