jeudi 29 avril 2021

Livre - Là où tout se tait - Jean Hatzfeld

 


Sur les collines de Nyamata, Jean Hatzfeld part cette fois à la recherche des très rares Hutus qui ont résisté à la folie génocidaire au péril de leur vie. Au Rwanda, on les appelle abarinzi w’igihango, les gardiens du pacte de sang, ou parfois les Justes. Mais vingt-cinq ans après, ils restent des personnages silencieux, entourés de méfiance ; parce que aux yeux des Hutus ils incarnent la trahison, ou leur renvoient l’image de ce qu’ils auraient pu être, tandis que les Tutsis portent sur eux d’irréductibles soupçons et le plus souvent refusent d’admettre qu’il y ait eu des Hutus méritants.
Beaucoup de sauveteurs ont été abattus par les tueurs, sans laisser de trace. Certains de ceux qui ont survécu racontent ici leurs histoires extraordinaires. Chacun trouve les mots pour relater ce chaos dans une langue étrange, familière et nourrie de métaphores, reconnaissable entre toutes pour ceux qui ont lu les précédents livres de l’auteur. 

 

Là où tout se tait de Jean Hatzfeld. Entretien

« C’est là qu’Isidore quitta le monde, puis s’évanouit des mémoires tandis que sa dépouille se décomposa sous les crocs et les becs d’animaux. Le 14 avril 1994, jour d’une terrible expédition de tueurs. Pourquoi avoir attendu tout ce temps pour raviver son souvenir ? Son bon sens naturel, imperméable aux déchaînements de haine, le rendait-il trop normal ? Un cas trop marginal sur une colline qui avait basculé dans une furie démentielle ? Ou trop exceptionnel à un moment où la communauté hutue se distinguait par un conformisme social sanguinaire ? Ou ai-je craint de découvrir un personnage bien différent de celui sur qui, par bribes de récits imprécis, je pouvais me faire des illusions ? »

Comment comprendre le titre ?

Il est extrait d’un vers d’Apollinaire, « Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait », vers qui me plaît beaucoup parce qu’il correspond au point de départ du livre : tenter d’explorer ces petits ilots de bonté qui avaient pu naître dans le chaos des tueries de 1994 à Nyamata, au Rwanda. Il suggère aussi le silence, parce que tout autour de ce qui se passe dans ce livre il y a du silence, du non-dit, de la gêne.

En quoi ce titre diffère de vos précédents livres sur le sujet ?

Par l’écriture du récit. Son matériau littéraire, si je peux dire, est toujours la parole des personnages et leur langage, en l’occurrence celles de personnages comparables à des Justes. Le lieu se limite encore aux collines de Nyamata. Mais cette fois, il est construit en une série de petites nouvelles vraies, en résonance les unes avec les autres, auquel vient se mêler un second récit autour d’un trou, où gisent les souvenirs et les morts et où on va trouver quelques réponses posées par ces personnages. Disons que ce deuxième récit n’était pas prévu au départ.

Considérez-vous ce livre comme une forme d’épilogue à vos recherches sur le Rwanda ?

Non, l’histoire de ce génocide tutsi est sans fin, très liée au temps qui passe. Avec le temps les souvenirs se modifient, les gens parlent différemment, ce qui ne pouvait être dit peut être raconté, de nouveaux personnages apparaissent, en particulier ces Hutus méritants dont on ne parlait guère il y a vingt ans. À un moment, Espérance Uwizeye, une cultivatrice dit : « …cette histoire des trois Tutsis, j’ai continué à la tasser au fond de mon for intérieur, elle m’apeurait… » Aujourd’hui, elle ose timidement. Un génocide est fascinant, il ne cesse de poser des questions qui provoquent des réponses qui elles-mêmes posent de nouvelles questions…

Jusqu’où faut-il se souvenir ?

Il y a une volonté assez générale d’encourager les rescapés à tourner la page. C’est bien sûr impossible. La vraie question, c’est « comment vit-on après avoir traversé une telle expérience ? ». L’essentiel n’est plus ce qui s’est passé à l’époque, ni ce qu’on peut en penser, mais en quoi on a été transformé. Quand on a tué tous les jours pendant sept semaines, ou qu’on a vécu en animal dans les marais, qui est-on aujourd’hui ? L’oubli est impossible. Tout au plus peut-on comme le dit Sylvie Umubyeyi, une rescapée, tenter de « ne pas perdre ce qu’on a réussi à sauver de la vie », « ne pas être contaminée par une autre folie’. Refaire des enfants, retrouver du travail, renouer avec Dieu… Comment en parler ? Sur ce point, chacun se débrouille à sa façon. Ça aussi, c’est très littéraire.

Précisément, les Justes semblent avoir du mal à s’affirmer comme tels…

Chez les Hutus, ils incarnent la trahison, ou renvoient l’image de ce qu’ils n’ont pas été. Les Tutsis portent sur eux d’irréductibles soupçons et refusent souvent l’idée de Hutus irréprochables. Ceux-ci se retrouvent dans une sorte de no man’s land de silences et méfiance. D’où le travail sur leurs récits et ceux qui les entourent. Jean Hatzfeld est né en 1949 à Madagascar. Il s’est inspiré de longues années de reportage ou de correspondance de guerre pour écrire plusieurs romans et récits. Il est l’auteur de cinq livres sur le génocide tutsi au Rwanda, dont La stratégie des antilopes (prix Médicis 2007) et Un papa de sang, et de romans dont Deux mètres dix.

Jean Hatzfeld est né en 1949 à Madagascar. Il s’est inspiré de longues années de reportage ou de correspondance de guerre pour écrire plusieurs romans et récits. Il est l’auteur de cinq livres sur le génocide tutsi au Rwanda, dont La stratégie des antilopes (prix Médicis 2007) et Un papa de sang, et de romans dont Deux mètres dix.

Entretien réalisé avec Jean Hatzfeld à l'occasion de la parution de Là où tout se tait.

 

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