Alors qu’elle s’évertue à gagner leur amour et à trouver sa place en tant que mère au foyer, Jiselle s’interroge sur la sincérité des sentiments de Mark à son égard. Elle s’inquiète des raisons pour lesquelles il l’a épousée et se demande s’il ne la considère pas plus comme une simple nounou que comme sa femme. En quelques mois, sa vie prend un tour dramatique. Jiselle a de plus en plus l’impression que les filles de Mark, avec lesquelles elle se trouve seule la plupart du temps, leur père étant souvent retenu en Allemagne, la détestent. La grippe de Phoenix, d’abord circonscrite à un périmètre maîtrisable, se transforme en épidémie et son quotidien devient une question de survie. Alors que les événements s’accélèrent autour d’elle, la vie que Jiselle pensait avoir choisie se trouve bouleversée. En effet, tandis que la mystérieuse maladie se répand rapidement à travers le pays, elle commence à se rendre compte que son mariage, ses beaux-enfants et leur monde parfait courent un terrible danger…
Mais Jiselle s’endurcit et reprend confiance en elle grâce à la tendre relation qu’elle parvient finalement à construire avec les enfants de Mark. Rassurée, elle se découvre une force intérieure qui lui donne la stature d’une véritable héroïne alors même que le monde semble s’écrouler autour d’elle.
Laura Kasischke, "En un monde parfait" (2009) : bonheur vs virus
Chez l’autrice Laura Kasischke, le récit d’épidémie est un outil pour dresser un portrait au vitriol de la middle class américaine d'aujourd'hui. Jiselle, trentenaire et hôtesse de l’air, s’inquiète de voir sa vie défiler sous ses yeux alors qu’elle n’est toujours pas “installée” dans une situation conjugale stable. Quand Mark Dorn, un commandant de bord veuf et affreusement parfait, la demande en mariage trois mois après leur rencontre, Jiselle n’hésite pas une seconde. Tandis qu’une épidémie de grippe traverse les Etats-Unis, emportant des centaines de victimes dans sa tornade (la pop-star Britney Spears succombe dès la page 3 !), l’héroïne d’En un monde parfait se mue en ménagère pour s’occuper des trois enfants de son tout-nouveau mari. Disséquer l'épidémie au bistouri littéraire n'est pas l'intention de l'autrice. Elle projette à l'inverse une idée diffuse, lointaine, de la maladie. Presque irréelle tant les personnages peinent à y croire, la grippe est ici un parfait prétexte pour décortiquer un état d'esprit symptomatique de notre époque. Finalement, qu’est-ce qu’une pandémie devant la poursuite effrénée du bonheur ? Dans cette radiographie sardonique de nos sociétés occidentales contemporaines, Laura Kasischke nous embobine dans un récit troublant, tant il fait écho à nos conduites actuelles en réaction à la propagation du coronavirus. Face à l’appréhension du chaos, l’insouciance et l'urgence de vivre à toute vitesse.
Pourquoi attendre ? était devenu une sorte de mantra. [...] Les médias associaient la guerre, la peur de la grippe, ce climat aussi chaud qu’inquiétant, au comportement des adolescents et des adultes. Des bars étaient bondés au milieu de la journée. Les liaisons entre collègues de travail étaient monnaie courante. Grossesses imprévues et grossesses programmées. Il y avait, semblait-il, une femme enceinte à chaque coin de rue et un bébé dans sa poussette sur chaque trottoir. Les garçons qui n’étaient pas incorporés dans l’armée après le lycée se marginalisaient pour devenir poètes. On rapportait qu’à Las Vegas il était si fréquent que des joueurs restent devant leur machine à sous jusqu’à tomber d’épuisement que des ambulances attendaient, moteur en marche, derrière les casinos. Les chapelles célébrant les mariages vingt-quatre heures sur vingt-quatre ne désemplissaient pas. Il se consommait autant de champagne que les magasins de spiritueux avaient adopté le principe d’une seule bouteille par client afin d’éviter les réactions violentes de ceux qui trouvaient les rayonnages vides. Mais Jiselle ne pensait pas à cette actualité quand elle répondit à Mark que, oui, elle consentait à devenir sa femme. L. Kasischke, En un monde parfait
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