Marcel Pagnol, "Les Pestiférés" (1977) : rocambolesque épidémie
Dans Les Pestiférés, texte inachevé et longtemps oublié, Marcel Pagnol a ravivé l’épidémie de peste survenue en 1720 à Marseille. Cette nouvelle est publiée en 1977, après sa mort, dans le recueil Le Temps des amours. Trésor caché de la littérature d'épidémie, Les Pestiférés nous plonge dans les aventures d’une petite communauté marseillaise face à la propagation d’un terrible fléau. Après de vifs pourparlers, les notables du coin menés par Maître Pancrace, médecin, et Maître Passacaille, notaire, prennent la décision radicale de confiner le quartier, en s’organisant comme une forteresse assiégée. A travers le format de la nouvelle, Pagnol livre un savant enchaînement de péripéties toujours plus absurdes, si rocambolesques qu’on en oublierait presque le tragique sujet. Dans un élan survivaliste, chacun se voit confier une mission pour participer à l’effort de guerre. Guerre contre la propagation, guerre contre les profiteurs qui pillent les provisions. Tous s’enduisent profusément d’un liquide qu’on dit efficace contre la contagion, le “Vinaigre des Quatre Voleurs”, équivalent old school du gel hydroalcoolique. Le tout conté dans un ton délicieusement burlesque.
L’ennui et la peur commencèrent bientôt à dérégler les mœurs de ces bonnes gens, et il y eut un grand nombre d’adultères, dont personne d’ailleurs ne sembla se soucier beaucoup, sauf le boucher Romuald, qui enrageait d’être cocu, mais que Pancrace consola par les considérations philosophiques d’une si grande beauté que le boucher, ayant fait cadeau de sa femme au boulanger, se mit en ménage avec la petite servante de l’épicier. Elle en fut bien aise, car elle craignait, depuis le début de la contagion, de mourir pucelle… Ces mœurs attristèrent le vertueux notaire, et d’autant plus cruellement qu’il en fut victime lui-même, car il se surprit un beau soir en pleine fornication avec la femme du poissonnier qui n’était ni jeune ni belle, mais capiteuse et entreprenante. Maître Pancrace le consola, en lui expliquant que la crainte de la mort exaltait toujours le sens génésique, comme si un être qui se croit perdu faisait un grand effort pour la reproduction de sa personne, afin de triompher de la mort… M. Pagnol, Les Pestiférés
Alors que leur retraite est un succès, les rescapés sont confrontés à un nouvel obstacle : pour endiguer la propagation, les autorités de la région entreprennent de brûler tous les villages infestés. Selon Maître Pancrace, il serait insensé de manifester leur présence : les impitoyables pillards rodent. Pas d'autre choix, ils doivent quitter les lieux en toute discrétion. Dans une scène brillamment loufoque, les membres de cette micro-communauté se lancent alors dans une représentation théâtrale hors-pair pour fuir de leur quartier sans éveiller les soupçons. Faux soldats, faux cadavres de pestiférés, la mise en scène est parfaite. Si l’issue tronquée de cette nouvelle vous laisse sur votre faim, vous pourrez toujours trouver sa chute dans l’adaptation BD des Pestiférés (Samuel Wambre, Serge Scotto et Éric Stoffe, Editions Grand Angle, 2019). Le dénouement fut reconstitué par le petit-fils de l’auteur, Nicolas Pagnol, à partir des bribes de la transmission orale du récit de l'écrivain.
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