L'ultime roman de W. G. Sebald nous fait connaître la vie de Jacques Austerlitz, un homme hanté par une appréhension obscure, lancé dans la recherche de ses origines. Par ce portrait saisissant d'un émigrant déraciné, fragile, érudit et digne, l'auteur élève une sorte d'anti - monument à tous ceux qui, au cours de l'Histoire, se retrouvent pourchassés, déplacés, coupés de leurs racines - sans jamais en comprendre la raison ni le sens.
La vulnérabilité douce et secrète de Sebald et de ses personnages hors du commun, leur façon d'être tour à tour gagnés par la beauté du monde et la souffrance qu'il engendre contribuent à inscrire ses œuvres dans la mémoire comme des événements majeurs.
" Ce soir-là, à Southwold, comme j'étais assis à ma place surplombant l'océan allemand, j'eus soudain l'impression de sentir très nettement la lente immersion du monde basculant dans les ténèbres. En Amérique, nous dit Thomas Browne dans son traité sur l'enfouissement des urnes, les chasseurs se lèvent à l'heure où les Persans s'enfoncent dans le plus profond sommeil. L'ombre de la nuit se déplace telle une traîne halée par-dessus terre, et comme presque tout, après le coucher du soleil, s'étend cercle après cercle - ainsi poursuit-il - on pourrait, en suivant toujours le soleil couchant, voir continuellement la sphère habitée par nous pleine de corps allongés, comme coupés et moissonnés par la faux de Saturne - un cimetière interminablement long pour une humanité atteinte du haut mal. "
Voici, par l'auteur des Émigrants, un livre inclassable, à la fois journal de voyage et fiction, autobiographie et encyclopédie. W.G. Sebald explore ici l'univers que l'homme a pensé et construit depuis la nuit des temps pour s'attacher aujourd'hui à le détruire.
« Je vois les pièces vidées. Je me vois assis tout au sommet de la carriole, je vois la croupe du cheval, la vaste étendue de terre brune, les oies dans la gadoue des basses-cours et leurs cous tendus, et aussi la salle d'attente de la gare de Grodno avec, au beau milieu, le poêle surchauffé entouré d'une grille et les familles d'émigrants regroupées tout autour. Je vois les fils du télégraphe montant et descendant devant les fenêtres du train, je vois les alignements des maisons de Riga, le bateau dans le port et le recoin sombre du pont où, autant que l'entassement le permettait, nous avions installé notre campement familial. » Entre le document, l'enquête et la fiction, le narrateur, double de l'écrivain, fait sortir de l'ombre des personnages dont la vie a été brisée par les douleurs de la séparation, la mort, le mal du pays. Ce récit de pérégrinations aux quatre coins de la terre apparaît comme le livre de ceux qui ont perdu leur monde, mais aussi le livre du temps retrouvé.
W. G. Sebald (1944-2001) : Une vie, une œuvre (2012 - France Culture)
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