" Mon vœu est d'être le plus proche possible de notre époque, d'y adhérer le plus étroitement possible, sans me soumettre à un dogme esthétique ... J'ai besoin de me sentir lié au monde physique, il me faut le courage de peindre le laid, il me faut la vie dans toute sa densité . " Otto DIX
Portrait de la journaliste Sylvia Von Harden / Otto DIX – 1926
Y a-t-il pratique de l’art parce qu’il y a symbolisation ?
L’usage du mot « art » ouvre sur des champs très divers. En donner une
définition unique est vain. Cependant, nous pouvons envisager qu’il
mobilise différentes facultés : créative, imaginative et symbolique.
La création.
L’art est par essence le domaine de la création. La création incarne la
matérialisation d’une pensée. Différents vecteurs participent à cette
concrétisation : événement, matériaux, corps support et expression du
corps, son, voix, performance, écriture, technologie, concept, objet,
installation, etc.
La création artistique génère un objet mais elle propose aussi du sens
et de la pensée : une production bipolaire qui nous est proposée sous
une forme et qui dégage une force ou, selon Edouard Glissant, capte des
forces.
La forme c’est ce qui est donné à voir, ce qui est du domaine du visible et de l’explicite. On y trouve des codes propres à chaque type d’expression artistique ainsi que l’utilisation que fait l’artiste de ce savoir. La forme ne devrait pas être l’unique finalité ou la satisfaction d’un égo ou envisagée à des fins spéculatives. Elle doit être génératrice, génitrice de sens.
La force c’est ce que l’œuvre communique, ce qui est du domaine de l’invisible et de l’implicite. Là s’opère autant d’interprétations, se construit autant d’imaginaires, de poésies, d’affects qu’il y a d’êtres humains.
Une création n’est pas uniquement le fruit d’une simple expression mais d’une composition qui conjugue la matière et le sens. On peut parler de double processus : Divergence quand l’artiste ouvre son champ des possibles, des trouvailles, pétrit la matière, façonne le propos et convergence quand il doit trier, garder, éliminer, faire des choix. Dans l’acte de création, ces deux démarches cohabitent. C’est dans cet aller-retour d’ouverture et de fermeture que la matière prend forme et sens et qu’émerge la singularité de son auteur.
L’artiste ne part pas de rien : les productions artistiques contemporaines et celles du passé exercent probablement une influence sur lui.
Le créateur ne peut ignorer qu’il œuvre pour un récepteur. Il ne nous conduit pas vers une simple lecture du monde mais s’attache à l’exprimer d’une manière spécifique selon sa sensibilité, sa singularité, ce qu’il veut aller chercher en nous ou le lieu, la dimension dans lesquels il veut nous emmener. Ce qui donnerait à penser qu’on ne peut parler d’art, d’œuvre « légitime » tant que le produit de la création n’est pas proposé à autrui. C’est l’autre qui, par son regard achève l’œuvre en lui donnant une signification qui lui est propre, qui est lié à son vécu, à son imaginaire. Le récepteur joue lui-même un rôle créatif.
L’art renferme une réserve de sens dans laquelle chacun puise selon ce qu’il est, ce qu’il recherche. Cette diversité génère une interaction entre les hommes, un mode de communication. L’art proposé en partage.
L’imagination :
Le dictionnaire nous renvoie, entre autres, aux éléments suivants : faculté de se représenter des choses en pensée ; faculté d’inventer en combinant des éléments du vécu. Elle serait une aptitude à représenter des objets absents : une capacité de l’esprit à exprimer, construire, créer des images. L’imagination, source de créativité, révèle un réel caché ou bien donne corps à un irréel. Elle s’affranchit du réel, elle explore le monde sous un angle inattendu, elle transfigure, transcende la réalité. L’imaginaire est un lieu qui se situerait entre le corps (affects) et l’esprit (raisonnement, savoir), une zone dans laquelle l’homme va puiser pour chercher des images, connues, vécues, rêvées, détournées, transformées ou inventées. Il constitue un espace virtuel dans lequel cohabitent le rationnel et l’irrationnel.
On oppose bien souvent l’imaginaire au réel. Il serait comme une source d’illusions qui tournerait le dos à la réalité pour mieux perdre l’individu qui s’y prête. Il ne propose aucune vérité mais il nourrit la pensée. Réel et imaginaire ne s’opposent pas. L’imaginaire permet d’explorer, d’errer, de naviguer parfois en zone inconnue, abstraite. L’imaginaire est secret mais peut être partagé parfois. Il permet d’exprimer l’inexprimable. Il exige une démarche d’introspection, un lâcher prise, accepter de perdre ses repères pour envisager, recevoir, faire surgir.
Imaginaire et création nourrissent la créativité. Toute démarche de création sollicite l’imaginaire qui élargit le champ des possibles, conjugue des éléments que l’on considère d’habitude comme indépendants ou disparates : imaginer des combinaisons nouvelles, parfois insolites, dérangeantes ; s’engager sur des chemins de traverse, franchir des passerelles …
Une activité de symbolisation :
« Un mot, une image sont symboliques lorsqu’ils impliquent quelque chose de plus que leur sens évident et immédiat » (CG JUNG « l’homme et ses symboles »). Or nous avons vu précédemment que l’art ne traduit pas le réel mais le recompose, le reconstruit, le révèle sous des aspects inaccessibles à une lecture conventionnelle. C’est en cela que symboliser catalyse la création artistique, activité qui privilégie le sens à la signification. La signification, ce sont les signes conventionnels, identifiés socialement par l’individu, c’est ce qu’on enseigne. Le sens évoque un ou des signes, il est le fruit d’une interprétation personnelle. Il ne s’enseigne pas mais il se construit. Le sens est ce que nous gardons en mémoire, ce qui participera à une modification, une évolution de notre pensée.
Le symbole est une abstraction qui permet de conclure à l’existence d’une autre chose à laquelle il est relié. Il peut remplacer de longues suites de raisonnement car il procède par analogie. En ce sens, il est comme un signe. Symboliser, c’est utiliser des symboles pour représenter. « Symboliser signifie en grec joindre, rapprocher ». Le symbole transfigure l’image. C’est une interprétation et non une explication du réel. La symbolisation est une démarche de transformation, un procédé qui permet de passer du réel à une interprétation du réel. Elle propose un cheminement de la pensée.
La symbolisation permet au créateur de s’éloigner de son émotion brute, de mettre une distance entre la matière et lui-même pour exprimer des émotions, des affects.
L’activité artistique peut s’inscrire dans une activité de symbolisation, constituer une proposition dont il nous faut redécouvrir la source, les termes.
A mon sens, proposer une symbolisation enrichit, facilite grâce à une mise en distance, développe différents aspects :
Elle valorise la sensibilité car elle sollicite l’imagination
Elle autorise de multiples sens qui convergeront, dans un second temps, en un : un mot pour exemple peut renvoyer à chacun d’entre nous plusieurs images : une explosion de multiples sens qui dans un second temps convergent en un.
Elle permet de se distancer du réel car elle sort du sens évident et immédiat. Elle génère un cheminement de la pensée, des explorations.
Elle permet un jeu poétique, laisser naviguer son inspiration
L’Art peut donc s’exprimer dans différentes dimensions : créative, imaginative et symbolique.
La combinaison des trois m’autorise à penser qu’elle serait le gage
d’une médiation aboutie mais qu’elle n’est pas indispensable à la
légitimité, la reconnaissance d’un geste artistique.
Otto Dix (Untermhaus, près de Gera, 2 décembre 1891 – Singen, 25 juillet 1969) est un peintre et graveur allemand associé aux mouvements de l'expressionnisme et est un des fondateurs de la Nouvelle Objectivité.
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