mercredi 26 mai 2021

Livre - CORRESPONDANCE GENERALE (1843-1862) - GONCOURT EDMOND ET JULES

 

CORRESPONDANCE GENERALE (1843-1862).

GONCOURT EDMOND ET JULES


La correspondance générale des Goncourt apparaît comme l'immense et nécessaire contrepoint du Journal de la vie littéraire. Pendant la période 1846-1862, les deux frères accèdent progressivement à la reconnaissance littéraire. Ils multiplient les projets vite avortés ; Jules, encore lycéen, évoque ses premiers essais poétiques et théâtraux ; les lettres gardent la trace de ces œuvres disparues ; elles sont les gammes des deux débutants qui s'interrogent sur la littérature et qui prônent une écriture épistolaire "ennemie[s] de la cravate blanche". Jules multiplie les jeux de mots dans des lettres pleines de verve, placées sous le signe de la fantaisie. La correspondance retrace un parcours personnel et nous fait assister à la naissance d'une vocation ; elle proclame le désir de vivre uniquement pour l'art et la littérature malgré les fortes pressions d'un entourage qui pousse les deux jeunes gens à "prendre un état". Les Goncourt s'intéressent à la politique au moment de la Révolution de 1848 ; ils défendent la nécessité de concessions malgré leurs vives inquiétudes sur l'avenir de la propriété. Les deux frères voyagent et leurs lettres nous offrent de belles descriptions de l'Algérie puis plus tard de l'Italie. Le réseau des correspondants, d'abord réduit aux amis d'enfance, aux proches, s'élargit au monde des journalistes, des collectionneurs et bientôt aux plus grands écrivains de l'époque dont les deux débutants recherchent le patronage. 


La correspondance et le naturalisme des Goncourt


En partie cachée, reléguée dans la coulisse de l'oeuvre publiée, la correspondance des Goncourt intéresse au-delà du cadre strictement biographique et privé. Oeuvre à part entière, elle constitue, pour une large partie, l'envers théorique du naturalisme des Goncourt et la clé de leur esthétique.

Dans le cadre de cette émission consacrée à la correspondance des frères Goncourt nous recevons Pierre Dufief, professeur émérite à l'université de Paris-Nanterre, responsable de l’édition de la Correspondance générale chez Honoré Champion (tome 1), co-auteur de Les frères Goncourt (Fayard, 2020).

Pourquoi se pencher sur la correspondance des Goncourt ? Si la question se pose, c'est que cette correspondance présente un intérêt au-delà du seul cercle des spécialistes. Elle donne en effet à voir une autre facette de la personnalité des Goncourt, en complémentarité avec le Journal :

Le Journal et la correspondance doivent être envisagés, me semble-t-il, de manière tout à fait complémentaire. Et si l’on lit la correspondance, ou si l’on parcourt en tout cas un certain nombre de correspondances importantes des Goncourt, parce que c’est une énorme masse, on se rend compte que les Goncourt ont deux visages : ils ont un visage qui est celui des diaristes, je reprendrais l’expression très utilisé à leur propos « ces infréquentables  Goncourt », et de l’autre côté il y a un autre visage, qui est le visage de personnages sensibles, affectifs, capables, non pas de causticité mais capables d’humour, capables de gaîté, capables de neurasthénie aussi, et c’est celui-là que nous donne la correspondance souvent, et notamment la correspondance de Flaubert et des Goncourt. (Pierre Dufief)

Plus encore, dans l'écriture épistolaire les Goncourt ont, comme ailleurs dans leur oeuvre, dans le Journal par exemple, mis le meilleur d'eux-mêmes et on y retrouve la précision de leur style, la verve de leur pensée, leur humour caustique.

Ce qui pourrait caractériser la correspondance des Goncourt, en tout cas celle de Jules qui à mon avis est une correspondance de bien meilleure qualité – Edmond écrit surtout des billets, il est plus laconique – c’est ce qui a marqué la première période de l’écriture romanesque des Goncourt : c’est la fantaisie, c’est une créativité verbale, c’est une capacité ludique. La lettre est constamment jeu, sourire plaisanterie ; elle est aussi chose vue. Et je pense qu’il y a une gaîté fondamentale, surtout dans les lettres de jeunesse, qui est très caractéristique de la manière de Jules : une parole en liberté. (Pierre Dufief)

Plus qu'une simple et modeste officine de la création littéraire, la correspondance est cet espace tangent, entre l'intime et le public, où s'écrivent quelques unes des pages les plus fortes d'Edmond et Jules de Goncourt : somptueuses descriptions de leurs voyages, par exemple en Algérie, considérations lumineuses sur quelques contemporains, comme Flaubert ou Zola, notations satiriques pleines d'esprit.

Cette émission est aussi l'occasion de revenir sur la relation que nouèrent les frères Goncourt avec Flaubert, dont témoigne une correspondance importante. 

En 1860 Edmond et Jules vont inviter Flaubert dans leur appartement rue St Georges. C’est le premier dîner qu’ils vont partager – c’est l’occasion d’ailleurs pour eux, dans le Journal, d’écrire une belle page sur Flaubert –, et puis la relation va se poursuivre de manière très régulière, assez intense dans les années 1860-1865, intense ensuite au moment de la mort de Jules, puis elle se poursuivra  après la mort de Jules jusqu’à la mort de Flaubert, mais je dirais, là, de manière plus épisodique […]. On le voit dans les lettres, on le lit dans les lettres, il y a une affection profonde qui va se créer, s’établir entre Flaubert et les frères Goncourt. (Pierre Dufief)

Ici rencore, rapports humains et considérations esthétiques se trouvent étroitement mêlées. Parlant à Flaubert et parlant de Flaubert, les Goncourt élaborent aussi bien une réflexion sur le travail de l'écrivain que sur la littérature elle-même, autant sur la personnalité d'un créateur que sur la singularité d'une oeuvre.

Flaubert et les Goncourt ont la même conception de la sacralité de la littérature, de la nécessité du sacerdoce de l’écrivain. L’écrivain doit tout sacrifier à la littérature et ils vont pratiquer le travail. Ils ont la même conception du travail littéraire, ils ont la même conception de la nécessité de laisser la vie mondaine de côté autant que faire se peut lorsqu’on se consacre à la littérature et que finalement, l’essentiel absolu, c’est la littérature. (Pierre Dufief)

C'est certainement parce que ces deux aspects, vie et littérature, furent toujours étroitement liés dans leur esprit qu'il faut, aujourd'hui, retourner à la production épistolaire des Goncourt, à ce carrefour de toutes les correspondances.

 

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