Sous son double versant, comme littérature d'art et comme art d'écrire, l'oeuvre des frères Goncourt constitue indéniablement un moment important dans l'histoire des formes littéraires et des sensibilités esthétiques. Les phénomènes qui caractérisent la manière dont les Goncourt écrivent sur l'art doivent être considérés non seulement sous leurs principaux aspects formels et stylistiques, mais également à travers les options théoriques, les constantes thématiques et les dispositifs idéologiques qui leur sont associés.
Les femmes et l'art des Goncourt
Au travers de leur écriture transparaissent les obsessions des Goncourt : leur culte de l'art, mais d'un art qui satisfasse sans demi-mesure leur goût d'esthètes un peu blasés d'une part, et d'autre part leur fascination pour les femmes, qu'ils n'ont eu de cesse d'ausculter dans leurs romans.
En première partie de notre émission nous recevons Bernard Vouilloux, professeur de littérature française du XXème siècle (littérature et arts visuels) à l'université de Paris-Sorbonne, auteur de L'art des Goncourt : une esthétique du style (L'Harmattan, 1997).
Bernard Vouilloux analyse pour nous cette posture littéraire si particulière que fut celle des frères Goncourt, naturalistes et se réclamant des soirées de Medan d'une part, esthètes jouant d'un dandysme presque affecté d'autre part.
Ils portent au plus haut point l’idée esthétique telle que la définissait Kant, c’est-à-dire une idée qui n’est pas arrimée à un concept mais, pour reprendre la formule d’un autre philosophe, disons à une forme de vie. (Bernard Vouilloux)
En eux le culte de l'art se concluait en culte du style, en un travail d'orfèvre effectué à même la langue, à la recherche de cette perfection formelle qui leur plaisait tant dans les oeuvres de Fragonard ou Watteau.
Ce qu’ils apprécient [...] dans l’art du XVIIIème siècle, c’est un consentement à la matérialité, matérialité des supports, des différents papiers, matérialités des pigments et des techniques qui les associent, le goût pour le lavis qui favorise les effets de transparence, mais même la peinture à l’huile, dans ses effets de cristallisation, rencontre leur adhésion. (Bernard Vouilloux)
L'esthétique des Goncourt recouvre ainsi deux aspects : celui de leur travail d'historiens de l'art hantés par le XVIIIème siècle, et celui de leur propre travail d'écriture. Leur esthétisme est ainsi une posture de spectateurs, charmés par la grâce des belles formes, et une posture de créateurs, soucieux de polir leur verbe, de parfaire, inlassablement, leur écriture.
En seconde partie d'émission nous serons avec Barbara Giraud-Pavlov, auteure de L'héroïne goncourtienne. Entre hystérie et dissidence (Peter Lang, 2009) pour parler de la place des femmes dans la littérature des Goncourt.
Lire les romans des Goncourt à la simple lumière de leur misogynie est considérablement réducteur, à mon avis, parce qu’en cela on rate, on passe à côté de la complexité qui fait leur œuvre à travers les tensions qui assaillent les personnages [...]. Il y a quand même quelque chose de dit, sur ces femmes, qui est aussi important. (Barbara Giraud)
Si les deux frères témoignent dans leurs oeuvres d'une misogynie appuyée, celle-ci va de pair avec une observation minutieuse du corps et de la psychée féminins. Objets de fantasmes, cristallisateurs de désirs, miroir des préoccupations masculines d'avantage que reflet d'une réalité sociale authentique, les femmes des Goncourt apparaissent comme des êtres tour à tour dégradés et merveilleux, tour à tour fées ou sorcières, sirènes ou naïades, prostituées ou madones. A travers leurs narrations, ciselées avec beaucoup d'art par les frères écrivains, se donne à lire une histoire foisonnante : une histoire de la société et des moeurs, mises en question par la figure de la lorette, qui est aussi une histoire de la médecine et de l'hystérie et peut-être, en bout de chaîne, une histoire de nos représentations.
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