1940. Un collectionneur privé commande à Henri Miller des écrits érotiques pour 1 dollar la page afin de satisfaire sa libido « intellectuelle ». Miller vit l’écriture sur commande comme une castration. Il demande alors à Anaïs Nin, son amante, de le remplacer. C’est ainsi que s’ouvre la voie de la littérature érotique féminine.
Pour contenter ce collectionneur, Anaïs Nin étudie alors le Kama Sutra, s’inspire des histoires que lui content ses amis, invente, exagère. Mais, le mystérieux commanditaire lui demande toujours moins de poésie et toujours plus de faits. « Les récits, rien que les récits, sans analyse ni philosophie ». Les histoires de Vénus Erotica sont donc écrites au départ pour divertir un homme aux fantasmes cliniques. Aussi, Nin n’y prend pas beaucoup de plaisir et croit compromettre sa féminité.
30 ans plus tard. Elle relit ses écrits et y décèle beaucoup d’elle-même, de sa plume sensuelle et féminine. Elle décide alors de les publier comme un geste militant ; Pour qu’enfin nous ayons le point de vue d’une femme sur l’érotisme, genre littéraire jusqu’alors quasi exclusivement masculin. Elle ne se reconnait pas dans les « crudités » érotiques de Miller et veut donner à entendre ses « ambiguïtés ». Nin raconte qu’à trop devoir se concentrer sur l’écriture d’une sexualité factuel, à devoir éliminer toutes formes de poésie et d’envolées lyriques, elle fut prise de violentes explosions de poésie. « Ecrire de l’érotisme devenait un chemin vers la sainteté plutôt que vers la débauche. »
Vénus Erotica, c’est donc 15 nouvelles, 15 histoires de sexe extraordinaire. (A quoi bon raconter le sexe ordinaire, me direz-vous ?) Il ne s’agit pas d’une littérature réaliste mais bien d’une utopie de la sexualité. Chaque rencontre est une osmose, un voyage vers le cosmos, un orgasme volcanique. Ce livre est infiniment optimiste, un vrai remède à la morosité ambiante. Au fil des histoires, Nin se détache de sa contrainte première, qui est d’écrire les fantasmes d’un homme qui lui assène constamment « Laissez tomber la poésie ! ». Elle raconte alors nos fantasmes à toutes et surement à tous. N’est-ce pas l’utilité première de ce genre littéraire ?
Si l’acte sexuel est le centre de chaque histoire, il est le prétexte pour raconter des personnages, des caractères, des relations. Il y a autant de sexualité qu’il y a d’individus et Nin fait preuve d’une imagination débordante pour nous embarquer dans la vie sulfureuse de ses héros. Chaque nouvelle raconte un personnage à travers sa sexualité et parfois certains se rencontrent. Les nouvelles s’entremêlent. Anaïs Nin sait saisir les subtilités du désir, souvent féminin. Elle ose, en 1940, décrire la bisexualité féminine et, pour une fois, non dans le but d’exciter le lecteur homme mais bien pour raconter les désirs au féminin.
C’est là un des beaux paradoxes de l’histoire. La littérature érotique féminine est née d’une commande d’un « vieux en demande de félicités perverses » à une femme des plus romantiques qui écrit « Seul le battement à l’unisson du sexe et du cœur peut créer l’extase ». Dans la dernière nouvelle, Marcel, après « le quart d’heure passion » dans un bal de village (je vous laisse découvrir par vous-même ce qu’est « le quart d’heure passion ») conclut ainsi : « Ils préfèrent ça [le quart d’heure passion, donc] à l’acte lui-même. La plupart y prennent plus de plaisir. Ca le fait durer plus longtemps. Mais moi je ne peux plus le supporter. Laissons-les jouir de leurs sensations ; ils aiment être chatouillés, ils aiment rester assis là, les hommes avec leur verge raide et les femmes ouvertes et trempées de désir, mais moi, je veux en finir, je ne peux plus attendre. » Cela résume assez bien les divergences entre Nin et son commanditaire. Ainsi, de cette rencontre ont jaillit de très beaux textes à la fois sensuels et crus, poétiques et factuels. Et c’est ce qui donne à ces histoires un pouvoir d’excitation très fort au lecteur comme à la lectrice.
Enfin, Anaïs Nin conclut ce Vénus Erotica par: « Maintenant la guerre est déclarée, et des tas de gens vont mourir, sans rien connaître parce qu’ils refusent de parler de sexe. C’est ridicule ! » Libérer la parole, c’est libérer les corps. Mesdames, continuons sur le chemin ouvert par cette formidable autrice !
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