César 2019 : "La Douleur"… ou quand Finkiel filme l'absence
Adapter Duras. Plusieurs s'y sont frotté. Emmanuel Finkiel a relevé le gant, accompagné de magnifiques interprètes : Mélanie Thierry, Benoît Magimel et Benjamin Biolay.
Juin 1944. Une femme attend son mari, arrêté et déporté. Elle va écrire cette insoutenable attente, cette agonie lente et silencieuse. C'est un livre : La Douleur de Marguerite Duras et c'est maintenant un film d'Emmanuel Finkiel.
Juin 1944, la France est toujours sous l’Occupation allemande. L’écrivain Robert Antelme, figure majeure de la Résistance, est arrêté et déporté. Sa jeune épouse Marguerite, écrivain et résistante, est tiraillée par l'angoisse de ne pas avoir de ses nouvelles et sa liaison secrète avec son camarade Dyonis. Elle rencontre un agent français de la Gestapo, Rabier, et, prête à tout pour retrouver son mari, se met à l’épreuve d’une relation ambiguë avec cet homme trouble, seul à pouvoir l’aider.
Les huit nominations aux César
- Actrice (Mélanie Thierry)
- Adaptation
- Son
- Photo
- Costumes
- Décors
- Réalisation
- Film
Mélanie Thierry et Emmanuel Finkiel ont déjà été récompensés par deux César que l'on n'obtient qu'une fois :
- Le César du meilleur espoir féminin pour Le Dernier pour la route, en 2010
- Le César de la meilleure première œuvre de fiction pour Voyages, en 2000 (C'est comme cela que s'appelait le César du premier film à l'époque)
Les critiques du "Masque & la plume" dithyrambiques
"Remarquable, impressionnant, miraculeux, une merveille, un bonheur absolu." Je pense que l'on peut dire sans trop se tromper que les critiques du Masque et la plume ont beaucoup aimé La Douleur.
Nicolas Schaller : "C'est un film qui assume une complexité, un côté mal-aimable qui le rend fascinant et terme de mise en scène et d'interprétation".
C'est un film purement sensoriel et mental et qui arrive à concilier deux mouvements qui sont souvent contradictoires ou redondants au cinéma : l'image et la voix-off - c'est-à-dire le cinéma et la littérature.
Sophie Avon : "Ce qui est très habile de la part d'Emmanuel Finkiel, c'est que la problématique du livre (qui est la problématique de la littérature finalement : "comment dire ce qu'on ne peut pas dire ?"), il en fait une problématique de cinéaste finalement : "comment montrer ce qu'on ne peut pas filmer ?"
Danièle Heymann : "C'est pour moi une adaptation absolument géniale, parce qu'on est avec cette femme, avec ce que va devenir Marguerite Duras, dans ses mensonges, dans l'image qu'elle veut donner d'elle".
Finkiel arrive véritablement à montrer des strates de sensualité, de sensibilité. Il a un culot formidable.
Xavier Lehepeur : "C'est un film sur la foi ! C'est quand même une femme intellectuelle et elle croit, vraiment, qu'il va rentrer. Tout, autour d'elle, lui dit "Mais non, prépare toi au deuil... avance le chemin, tu n'en souffriras que moins" mais elle y croit dur comme fer ! Si bien qu'à la fin, même si on la connaît, on a presque un doute : est-il vraiment derrière la porte ?"
"La Douleur" d'Emmanuel Finkiel : les critiques du Masque et la Plume
L'avis d' "On aura tout vu"
Christine Masson : "Emmanuel Finkiel a réussi à capter au plus près ce sentiment abstrait : la présence de l'absence. Marguerite Duras est réincarnée par Mélanie Thierry. En face d'elle, en agent français de la Gestapo, Benoît Magimel réussit à restituer toutes les nuances de gris".
Laurent Delmas renchérit :
Les grands livres font rarement des grand films, ici, c'est pari tenu.
La découverte de Duras
"Quand j'ai ouvert le livre, je ne pensais pas que ça allait raconter des choses que j'avais connues et c'est ce qui m'a bouleversé à la lecture", explique Emmanuel Finkiel dans On aura tout vu. "Je voyais décri là, cette atmosphère sur laquelle je ne pouvais pas mettre de nom, cette ambiance qui me rappelait fortement ce que j'avais connu au contact de mon père."
Très souvent ce sont les sujets qui vous prennent plutôt que l'inverse.
Benoît Magimel n'a pas voulu lire le livre pour se concentrer sur le scénario : "c'est une adaptation donc la partition est écrite par le réalisateur et c'est à partir de ça qu'on travaille. C'est d'abord le regard d'Emmanuel qui m'intéressait, de travailler avec lui, de composer ce personnage qui a plusieurs couches, très ambigu, très ambivalent."
Mélanie Thierry a fait ses devoirs en se disant : "Il faut que je me plonge dans Duras, il faut que je lise tout ce que je peux lire. Je mentirais en disant que j'ai tout lu. Mais ce travail-là, je l'ai fait parce qu'il était essentiel, parce qu'il me permettait de me nourrir, parce qu'il me permettait de me dire que j'étais consciencieuse et rigoureuse".
"J'ai découvert Duras tard", avoue-t-elle à Augustin Trapenard dans Boomerang. "Sur scène quand j'ai vu Dominique Blanc le jouer au Théâtre de l'Atelier, mais c'était une autre façon d'aborder La Douleur, parce que c'était vraiment la romancière qui se replongeait dans ses écrits et qui était confrontée à cette douleur qui surgissait et qu'elle avait enfoui dans un subconscient. Alors que là, il s'agissait de faire ressortir une Marguerite encore vive et jeune."
Incarner Duras
"Je ne pensais pas être choisie pour le rôle", confie Mélanie Thierry, "parce que je n'ai pas l'image d'une actrice littéraire. On pourrait se dire que dans le cinéma de Finkiel, on intellectualise un peu, on théorise et tout est bien pensé avant. Mais il va tellement chercher au plus profond de toi, qu'il a eu besoin d'une actrice qui ne soit pas si littéraire que ça, et qui ait quelque chose de plus instinctif, de plus animal.
Quand j'ai découvert le film, je me suis dit, « parfois tu peux attendre toute une vie et puis ça n'arrive pas » et là, je me dis que au moins j'aurais eu ça, on m'aura offert ça.
Je n'ai pas eu du tout peur d'affronter l'expérience de la douleur pendant le tournage", conclue-t-elle, "et finalement il y a eu même une certaine forme d'épanouissement et d'accomplissement et lorsque tout ça s'éteint et que l'on revient à son territoire, on met un certain temps avant de revenir à la réalité."
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