« Le titre du nouveau roman de monsieur Georges Ohnet contient beaucoup de sens en un seul mot. Ce titre est toute une philosophie. « Volonté », voilà qui parle au cœur et à l’esprit. « Volonté par Georges Ohnet ». Comme on sent l’homme de principe qui n’a jamais douté ! « Volonté par Georges Ohnet, soixante-treizième édition ». Quelle preuve de la puissance de la volonté ! Monsieur Georges Ohnet a voulu avoir soixante-treize éditions et il les a eues. En vérité, plus je relis ce titre, plus j’y trouve d’intérêt. C’est sans contredit la plus belle page qui soit sortie de la plume de monsieur Georges Ohnet. « Volonté par Georges Ohnet, soixante-treizième édition ». Que cela est bien écrit ! J’avoue que le reste du livre m’a paru inférieur. Comme philosophe, Monsieur Georges Ohnet ne me satisfait pas. Sous ce jour, je le trouve faible. Je voudrais n’avoir pas à l’apprécier à un autre point de vue. Mais puisque enfin monsieur Georges Ohnet fait des romans, il est équitable et nécessaire de le traiter en romancier. C’est ce à quoi je vais donc procéder avec tous les ménagements dont je suis capable.
Extrait d'un article d'Anatole France sur un livre de Georges Ohnet: Volonté
Eh bien, puisqu’il me faut juger monsieur Georges Ohnet comme auteur de romans, je dirai dans la paix de mon âme et dans la sérénité de ma conscience qu’il est, au point de vue de l’art, bien au-dessous du pire. J’ai eu l’honneur d’être présenté l’hiver dernier à monsieur Georges Ohnet, et je me suis convaincu, comme tous ceux qui l’ont approché, que c’est un très galant homme. Il parle d’une manière fort intéressante avec une bonne humeur tout à fait agréable. Il m’a inspiré de la sympathie. Je sais de lui des traits qui l’honorent et je l’estime profondément. Mais je ne connais pas de livres qui me déplaisent plus que les siens. Je ne sais rien au monde de plus désobligeant que ses conceptions, ni de plus disgracieux que son style. Si je m’étais cru, je serais mort sans avoir lu une ligne de monsieur Georges Ohnet. Je me serais épargné cette pénible et dangereuse épreuve. Je mets beaucoup de soin à éviter dans la vie ce qui me semble laid. Je craindrais de devenir très méchant si j’étais forcé de vivre en face de ce qui me choque, me blesse et m’afflige. C’est pourquoi je m’étais résolu à ne pas lire Volonté. Mais le sort en a disposé autrement. J’ai lu Volonté, et j’ai d’abord été très malheureux. Il n’y a pas une page, pas une ligne, pas un mot, pas une syllabe de ce livre qui ne m’ait choqué, offensé, attristé. Je n’avais jamais lu encore un livre aussi mauvais. Cela même me le rendit considérable, et je finis par en concevoir une espèce d’admiration. Monsieur Georges Ohnet est détestable avec égalité et plénitude. Il est harmonieux et donne l’idée d’un genre de perfection. C’est du génie, cela. Tout ce qu’il touche devient aussitôt tristement vulgaire et ridiculement prétentieux. Les miracles de la nature et de l’humanité, la splendeur du ciel et la beauté des femmes, les trésors de l’art et les secrets délicieux des âmes, enfin tout ce qui fait le charme et la sainteté de la vie devient en passant par sa pensée une écœurante banalité. Et il aime vivre ! C’est incompréhensible.
Volonté fera les délices d’un grand nombre de personnes. Je ne leur en ferai pas un reproche. Il faut aussi que les pauvres d’esprit aient leur idéal. N’est-il pas vrai que les figures de cire exposées aux vitrines des coiffeurs inspirent des rêves poétiques aux collégiens. Or les romans de monsieur Georges Ohnet sont exactement dans l’ordre littéraire ce que sont dans l’ordre plastique les têtes de cire des coiffeurs. »
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