vendredi 11 juin 2021

Livre - Composition française : Retour sur une enfance bretonne - Varennes - Mona Ozouf

 

La France a toujours vécu d'une tension entre l'esprit national et le génie des pays qui la composent, entre l'universel et le particulier. Mona Ozouf se souvient l'avoir ressentie et intériorisée au cours d'une enfance bretonne. Dans un territoire exigu et clos, entre école, église et maison, il fallait vivre avec trois lots de croyances disparates, souvent antagonistes. A la maison, tout parlait de l'appartenance à la Bretagne ? L'école, elle, au nom de l'universelle patrie des droits de l'homme professait l'indifférence aux identités locales. Quant à l'Eglise, la foi qu'elle enseignait contredisait celle de l'école comme celle de la maison. En faisant revivre ces croyances désaccordées, Mona Ozouf retrouve des questions qui n'ont rien perdu de leur acuité. Pourquoi la France s'est-elle montrée aussi rétive à accepter une pluralité toujours ressentie comme une menace ? Faut-il nécessairement opposer un républicanisme passionnément attaché à l'universel et des particularismes invariablement jugés rétrogrades ? A quelles conditions combiner les attachements particuliers et l'exigence de l'universel ? En d'autres termes, comment vivre heureusement la " composition française " ? 

 

 


L'équipée de Varennes ne figure pas dans le canon des "journées révolutionnaires" : ni foules anonymes en fureur, ni sang versé, ni exploits individuels, ni vainqueurs, ni vaincus. À Varennes, un roi s'en est venu, un roi s'en est allé, avant de retrouver une capitale sans voix et une Assemblée nationale appliquée à gommer la portée de l'évènement. Autant dire une journée blanche.

Et pourtant, ce voyage apparemment sans conséquence fait basculer l'histoire révolutionnaire : il éteint dans les esprits et les cœurs l'image paternelle longtemps incarnée par Louis XVI ; met en scène le divorce entre la royauté et la nation ; ouvre inopinément un espace inédit à l'idée républicaine ; et, pour finir, projette la Révolution française dans l'inconnu.

Le livre de Mona Ozouf reconstitue cette histoire à la fois énigmatique et rebattue. Il en éclaire les zones obscures, pénètre les intentions des acteurs et observe le démenti que leur inflige la fatalité ; avant d'interroger les lendemains politiques d'une crise qui contraint les révolutionnaires à "réviser" la Révolution. Réapparaissent ainsi des questions aujourd'hui encore irrésolues : y a-t-il une politique distincte du roi et de la reine ? Peut-on faire de Varennes l'origine de la Terreur ? Quelle figure de république voit-on se dessiner dans le chaos des passions du jour ?

Ce moment tourmenté, écrit l'auteur, ouvre une vraie fracture dans l'histoire de France. Il allonge déjà sur le théâtre national l'ombre tragique de l'échafaud. Dix-huit mois avant la mort de Louis XVI, Varennes consomme l'extinction de la royauté. 

 

La France, une et indivisible ?

Philosophe et historienne, Mona Ozouf est également directrice de recherche au CNRS. Cette spécialiste de la Révolution française retrouve Laure Adler pour une série de trois émissions. Premier entretien.

Mona Ozouf publiait en 2011 un ouvrage dédié à l’intellectuel breton, Ernest Renan. Bretonne elle-même, elle se souvient de l’importance qu’il a eu pour elle: « j’ai beaucoup lu Renan dans ma jeunesse, c’était une de nos gloires, j’ai presque envie de dire que c’est un attaché culturel breton dans la capitale. Donc Renan était dans la bibliothèque de la maison (…) retrouvé dans la petite collection annotée de la main de mon père, qui est mort quand j’avais quatre ans. »

Lorsqu’elle évoque son éducation, elle ne parvient pas à dire si elle l’a subie ou reçue : « Je crois que ça correspond à quelque chose de profond quand on avance en âge. Quand on est jeune on a le sentiment qu’on va inventer sa vie et qu’on va s’inventer soi même ; et plus on avance et plus compte la part non-choisie de l’existence. Et il y a donc une sorte de devoir de mémoire à l’égard de cette part qui n’a pas été choisie, qui a été reçue. »

Dans son ouvrage, "Composition française: Retour sur une enfance bretonne"  Mona Ozouf retrace son enfance. Faut-il y voir une autobiographie ? Non, « je ne vois pas ce livre (…) comme une autobiographie. (…) La part mémorielle était destinée à mieux faire comprendre les problèmes qui étaient posés dans la deuxième partie. (…) La question est de savoir pourquoi la France a eu autant de difficulté à accepter la diversité et pourquoi elle s’est toujours définie elle-même comme une et indivisible.»

Elle soulève un paradoxe de la société française. « Au fond mon enfance bretonne était entre trois cultures finalement. La culture de la maison qui était une culture très particulière, axée sur la particularité bretonne. La culture de l’école, laïque et républicaine, qui était une culture de l’universalité. Puis, la culture de l’Eglise, à la fois en conflit avec celle de la maison et avec celle de l’école. Tout cela donnait une existence enfantine pas très simple…»

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