samedi 5 juin 2021

Peinture - Zola par Manet : un portrait sous le signe du Japon

 En 1868, le peintre Édouard Manet fait le portrait d’Émile Zola, un jeune écrivain qui a pris sa défense dans le tumulte de l’affaire Olympia. La toile lui avait offert une occasion déguisée de mettre en avant ses propres goûts… notamment sa passion pour l’art japonais !

Edouard Manet, Portrait d’Émile Zola

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Déclaration d’amitié

En 1868, Édouard Manet a 36 ans, mais ne doit pour l’instant sa célébrité qu’au scandale provoqué par Olympia (1863), toile polissonne qui a hérissé les partisans de l’académisme au Salon de 1865. Émile Zola, lui, n’est encore qu’un jeune journaliste polémique de 26 ans qui vient de publier son troisième roman. Mais l’écrivain a pris la défense de Manet en vantant, dans la Revue du XXe siècle, les mérites d’une nouvelle peinture attachée à la représentation du quotidien et des réalités du monde moderne – valeurs qui se retrouveront au cœur du naturalisme, mouvement qu’il est sur le point de lancer avec la série des Rougon-Macquart (1871–1893) qui fera sa renommée. Pour le remercier de son soutien, Manet lui propose de faire son portrait, officialisant l’amitié intellectuelle de deux hommes à la recherche du succès !

Edouard Manet, Portrait d’Émile Zola (détail)

Un écrivain amateur d’art

Assis à sa table de travail, vêtu d’un pantalon gris et d’une redingote noire typique de la bourgeoisie du Second Empire, Émile Zola apparaît comme un homme de goût, en phase avec son temps. Dans son atelier parisien de la rue Guyot, le peintre l’entoure d’objets caractéristiques de sa personnalité. Sur son bureau, de nombreux livres ainsi que la plume trempée dans l’encrier symbolisent son métier d’homme de lettres. Entre ses mains, Zola tient un gros ouvrage, probablement L’Histoire des peintres de Charles Blanc. L’homme s’intéresse beaucoup à la peinture (et en particulier aux artistes rejetés par la critique officielle) comme en témoignera son roman L’Œuvre (1886), centré sur un peintre maudit, synthèse d’Édouard Manet et de Paul Cézanne.

Edouard Manet, Portrait d’Émile Zola (détail)

Brochure historique

Après avoir pris la défense de Manet en 1866, Zola a récidivé l’année suivante avec un article publié sous la forme d’une brochure bleu ciel… que le peintre prend soin de placer ici, bien en évidence, avec son nom en majuscules sur la couverture ! Hélas, l’artiste ne se doute pas que Zola s’éloignera bientôt de lui, déçu par la tournure impressionniste de son style à la fin des années 1870. Au point de reléguer, comme en témoignera Huysmans en 1889, ce portrait dans l’antichambre de sa maison…

Edouard Manet, Portrait d’Émile Zola (détail)

Clin d’œil à Olympia

Au mur, en écho aux cabinets d’amateurs des peintres flamands du XVIIe siècle, Manet rassemble plusieurs images reproduites en miniature. Au fond, une gravure de Goya d’après le Triomphe de Bacchus de Velázquez rappelle son goût pour l’art espagnol. Par-dessus apparaît une photographie en noir et blanc d’Olympia, représentation réaliste d’une femme nue – et plus précisément d’une demi-mondaine dont le client est annoncé par un bouquet de fleurs. Un détail la différencie de l’originale : ici, Olympia jette un regard complice à Zola, comme pour le remercier d’avoir pris sa défense !

Edouard Manet, Portrait d’Émile Zola (détail)

Lutteur de sumo

À sa gauche, Manet reproduit une estampe japonaise du XIXe siècle issue de sa propre collection : Le Lutteur Onaruto Nadaemon de la province d’Awa par Utagawa Kuniaki. Vêtu d’un kimono à motifs, d’un manteau noir et de tongs en bois, ce lutteur de sumo à la carrure imposante porte à sa ceinture un katana, sabre courbe symbole de la caste des samouraïs. Le peintre rappelle ainsi l’influence capitale de l’art japonais sur les artistes de sa génération. Un phénomène récent, puisqu’en 1868, un an après l’Exposition universelle de Paris, le Japon vient tout juste de s’ouvrir au monde extérieur en signant de nouveaux traités commerciaux, inondant brusquement les boutiques françaises d’estampes et d’objets décoratifs que de nombreux écrivains et peintres se mettent à collectionner pour s’en inspirer.

Edouard Manet, Portrait d’Emile Zola (détail)

Déco nipponne

Dans le coin gauche du tableau, Manet glisse un nouveau clin d’œil à cet art : un paravent japonais de couleur or, décoré d’un cours d’eau et d’un oiseau posé sur une branche de cerisier en fleur. Émergeant du fond noir, l’objet crée un contraste lumineux évoquant les artefacts nippons en laque noire et or. Vingt ans plus tard, dans son roman Au bonheur des dames, centré sur l’essor d’un grand magasin parisien, Émile Zola lui-même décrira l’arrivée « d’immenses parasols japonais, où des grues couleur d’or volaient dans un ciel de pourpre » mais aussi « de vieux bronzes, de vieux ivoires, de vieilles laques », écrivant plus loin que « quatre ans venaient de suffire au Japon pour attirer toute la clientèle artistique de Paris » !

Edouard Manet, Portrait d’Émile Zola (détail)

Aplats noirs inspirés d’estampes

Manet utilise de larges aplats d’un noir d’encre pour représenter le fond sombre et la redingote de l’écrivain. Cet habit noir présente un aspect totalement plat, sans modelé ni autre effet de volume… exactement comme le manteau noir du lutteur de sumo. Manet se réfère ainsi (encore !) aux estampes japonaises qui poussent de nombreux peintres de l’époque à adopter l’aplat de couleur pure, et à utiliser le noir pour faire ressortir les couleurs. Comme ici, où il permet de mettre élégamment en lumière le visage du modèle et les objets qui semblent baignés d’une lumière mordorée…

Edouard Manet, Portrait d’Émile Zola (détail)

Touche ibérique

Tout comme les objets d’art et autres antiquités, le mobilier joue un rôle important dans la mise en scène de soi, aussi bien chez les bourgeois que chez les écrivains et les peintres reconnus. Pour représenter la tapisserie du fauteuil, Manet s’inspire de la touche et des tons ocre de Goya et Vélasquez, ses peintres espagnols favoris.

 

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