jeudi 21 avril 2011

Livre - Les hérésies

 


Au-delà du «tournant constantinien», qui érige en crime de lèse-majesté tout choix hostile ou réticent à l'égard du dogme et de la politique de l'Église romaine, la notion d'hérésie tend à définir l'ensemble des comportements humains, selon leur gravitation autour d'un axe à la fois divin et terrestre dont l'Église détient seule le sens, l'orthodoxie. En mettant fin au pouvoir répressif et pénal de l'Église, la Révolution française a supprimé l'existence, en droit, de l'hérésie. 

 

 

 

Les hérésies dans le christianisme

 

Qu’est-ce qu’une hérésie ?

Étymologiquement (hairesis en grec), c’est une préférence, un choix opéré au sein de la doctrine. Pour les catholiques, c’est, de la part des baptisés, le refus délibéré d’une proposition de la foi définie par l’Église comme vérité révélée. Le Catéchisme de l’Église catholique la définit en ces termes : « L’hérésie est la négation obstinée, après la réception du Baptême, d’une vérité qui doit être crue de foi divine et catholique, ou le doute obstiné sur cette vérité. »

Elle ne doit pas être confondue avec l’apostasie (rejet total de la foi) ni avec le schisme (refus de la soumission au pape). Mais les hérésies, qui ont jalonné l’histoire de l’Église en l’obligeant sans cesse à approfondir la connaissance de la vérité révélée, ont été en fait à l’origine de beaucoup de divisions et séparations.

Selon Jean-Marie Salamito, professeur d’histoire du christianisme antique à l’université de la Sorbonne, « l’hérésie naît d’une volonté de mettre en lumière un aspect de la foi qu’on estime mal compris. Dans bien des cas, l’intention est légitime, mais l’hérésie se développe parce que cet aspect est traité de manière unilatérale. »

Pourquoi les hérésies ont-elles surtout été concentrées dans l’Antiquité ?

Jean-Marie Salamito insiste sur la notion de développement du dogme, élaborée par John Henry Newman (1) : « À mesure que la réflexion humaine progresse, le message initial suit un enrichissement théologique : les conciles balisent le terrain en formulant des dogmes, mais ce sont des affirmations très réduites, qui peuvent ensuite être développées. Au début de l’ère chrétienne, comme le dogme était peu développé, la place pour la créativité était grande. Par exemple, saint Paul affirme que le Christ nous sauve par sa Passion : on a mis des siècles à expliquer comment, et ces recherches ont vu naître des hérésies. »

La plupart des hérésies portent sur la personne de Jésus-Christ et sur la Trinité. Les historiens débattent pour savoir si la doctrine orthodoxe préexistait à l’hérésie, ou si, au contraire, l’Église a élaboré la doctrine a posteriori en réaction aux hérésies.

Que professaient les hérésies des premiers siècles ?

Un premier courant est le gnosticisme qui déprécie la matière et croit en des êtres intermédiaires entre Dieu et le monde. Le gnosticisme n’est pas chrétien mais il s’est développé dans le christianisme, le judaïsme et le paganisme. De même pour le manichéisme (IIIe siècle) qui reprend à la gnose le principe dualiste en vertu duquel le Bien et le Mal sont deux principes égaux et antagoniques : ce n’est pas une hérésie du christianisme, mais une religion syncrétique à part entière qui a trouvé à s’exprimer dans le christianisme.

Ensuite la tendance dualiste, qu’on retrouve dans divers courants religieux. Elle distingue deux principes dans le monde, et considère l’âme et le corps comme deux tendances indépendantes. La plupart des hérésies chrétiennes sont dualistes, fondées sur une dépréciation de la chair et une difficulté à penser Jésus à la fois homme et Dieu. Enfin, les courants docétistes, qui se répandent à partir du IIe siècle, prétendent que l’homme Jésus et sa mort ne furent qu’apparences.

Prenons l’exemple de Marcion, excommunié en 144. Chez lui, le dualisme incline vers une négation de l’humanité du Christ : il prit un corps humain, mais ce n’était qu’apparence car la matière est mauvaise. La doctrine de Marcion comporte des éléments de tendance gnostique, dualiste et docétiste. À l’inverse, certains hérétiques diminuent la divinité de Jésus. Ainsi l’arianisme : Arius considère que si le Père a engendré le Fils, l’existence de celui-ci n’est pas éternelle. Arius fut condamné par le premier concile de Nicée (325), qui affirme que le Christ est « engendré, non pas créé, consubstantiel au Père ».

Au Ve siècle, le nestorianisme s’inscrit dans la même ligne mais, prenant acte du concile de Nicée, Nestorius élabore une théorie plus subtile, le dyophysisme : Jésus est une personne humaine conjointe à la Personne divine du Fils. Nestorius fut condamné par le concile d’Éphèse (431). Certaines Églises orientales ont adopté le nestorianisme, en Perse et en Mésopotamie notamment.

Contre le nestorianisme se développèrent, en sens inverse, les courants monophysites. La nature humaine du Christ aurait cessé d’exister au moment où elle était assumée par sa Personne divine. Le monophysisme fut condamné par le concile de Chalcédoine (451) : « un seul et même Fils, Notre Seigneur Jésus-Christ, le même parfait en divinité et parfait en humanité, le même vraiment Dieu et vraiment homme ». Certaines Églises orientales ont cependant été longtemps qualifiées de monophysites pour n’avoir pas reconnu ce concile (Églises dites préchalcédoniennes).

Depuis le Moyen Âge, quelles ont été les principales ?

Après plusieurs siècles d’accalmie apparurent les hérésies populaires médiévales. La plus connue est le catharisme. La Création serait issue d’une divinité imparfaite. Le Christ n’a pas pu être soumis au mal par l’Incarnation, il est donc un pur esprit à l’apparence humaine. L’Église cathare était fondée sur une communauté à deux niveaux : les simples fidèles et les « parfaits ». Les cathares rejettent les sacrements et la liturgie de l’Église. Leur seul sacrement est le « consolament », qui sanctionne l’entrée parmi les « parfaits ». Ils furent réprimés par la croisade contre les Albigeois (1208), et condamnés par le IVe concile du Latran (1215).

À l’époque moderne, l’hérésie fut d’abord, pour les catholiques, le fait des courants protestants. Luther fut excommunié par Léon X en 1521, puis le concile de Trente condamna les positions protestantes (salut par la foi seule, rejet de la Tradition, de la transsubstantiation, etc.). Citons aussi le jansénisme, condamné en 1713 par Clément XI. La dernière hérésie, reconnue comme telle par l’Église, fut celle des modernistes, qui furent excommuniés (ainsi l’abbé Alfred Loisy en 1907).

En existe-t-il encore aujourd’hui ?

Aujourd’hui, explique Jean-Marie Salamito, l’hérésie est surtout individuelle : « L’individu est plus conscient de lui-même qu’à d’autres époques, et l’affirme dans une propension à faire le tri dans les affirmations de foi. L’inculture religieuse peut aussi mener certains à l’hérésie de manière involontaire. Par exemple, beaucoup de chrétiens n’ont pas une compréhension claire de la Trinité. »

En 2006, le cardinal Tarcisio Bertone a indiqué que l’arianisme était une menace pour les chrétiens d’aujourd’hui. Enfin, l’Église catholique est parvenue, à partir des années 1980, à des « déclarations christologiques communes » avec les Églises préchalcédoniennes, qui ont fait valoir qu’elles n’étaient pas monophysites.

 

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