vendredi 15 avril 2011

Livre - Saint-Louis - Jacques Le Goff

 

Ce Saint Louis de Jacques le Goff, c'est la rencontre d'une des figures de proue du mouvement des Annales, traditionnellement hostile au culte de la biographie, avec la plus haute figure de l'histoire nationale, le personnage quasi mythologique du roi très chrétien, et même le seul canonisé des trente rois qui ont fait la France . Et pour faire bonne mesure, cette étude approfondie ne se veut - c'est ce qui fait sa puissante originalité - ni la France de Saint Louis ni Saint Louis dans son temps , mais bien la recherche, de l'homme, de l'individu, de son moi , dans son mystère et sa complexité. Qui fut Saint Louis ? Peut-on le connaître et, Joinville aidant, entrer dans son intimité ? Peut-on le saisir à travers toutes les couches et les formations de mémoires attachées à construire sa statue et son modèle ? Problème d'autant plus difficile que, la légende rejoignant pour une fois la réalité, l'enfant roi de douze ans semble avoir été dès le départ programmé, si l'on ose dire, pour être ce roi idéal et unique que l'histoire en a fait. Cette somme tient ainsi le pari de fondre dans la même unité savante et passionnée le récit de la vie du roi et l'interrogation qui, pour l'historien, le double, l'habite et l'autorise : comment raconter cette vie, comment parler de Saint Louis, à ce point absorbé par son image qu'affleure la question provocatrice Saint Louis a-t-il existé ? . Les biographes se veulent, en général, neutres et impassibles comme des juges suprêmes. Ici, le sentiment de la vérité naît au contraire de la tension explicite entre l'historien et son héros : un mélange d'attirance et d'hostilité, d'admiration, de rejet et de déconcertante amitié qui, loin de toute hagiographie, s'épanouit en une contagieuse fascination.15 illustrations, sous jaquette illustrée.

Secrets d'Histoire - Saint Louis, sur la terre comme au ciel (Intégrale)

La société de Saint Louis par Jacques Le Goff

Le 15 juillet 2006, l'historien, qui s'est éteint le 1er avril à l'âge de 90 ans, expliquait dans Le Figaro Magazine la vie quotidienne des Français au Moyen Âge. En hommage à ce grand médiéviste, nous publions l'intégralité de son texte.Les famines sont devenues rares, le spectre de la guerre s'éloigne, les villes s'enrichissent et la paysannerie prospère: le XIIIe siècle représente l'apogée de la civilisation médiévale. Le roi Louis IX se trouve au sommet de la pyramide, mais, dans cette société fortement hiérarchisée où la foi chrétienne et l'Église exercent un rôle considérable, trois grands groupes peuvent être distingués: ceux qui prient, ceux qui combattent et ceux qui travaillent.

Sous le règne de Saint Louis, les Français traversent la période la plus prospère du temps médiéval: il n'y a pratiquement plus de famines, les guerres s'apaisent, les villes se développent, et la production paysanne s'accroît. Le Moyen Âge connaissant une forte hiérarchie sociale, les conditions de vie sont extrêmement diverses. Examinons successivement les trois groupes qui correspondent aux trois fonctions dites indo-européennes, naguère distinguées par Georges Dumézil: ceux qui prient (en latin oratores), ceux qui font la guerre (bellatores), et ceux qui travaillent (laboratores).

Le clergé

À côté des prêtres qui exercent leur ministère dans les paroisses et des moines qui sont reclus dans leurs couvents, une catégorie nouvelle de clercs joue un rôle déterminant au XIIIe siècle: les membres des ordres mendiants, essentiellement les Dominicains, ou prêcheurs, et les Franciscains, ou mineurs. Ces religieux, qui vivent d'aumône et non de rentes et de revenus fonciers ou immobiliers, sont d'abord des prédicateurs. Leurs sermons, dont beaucoup ont été conservés, nous permettent d'appréhender les mentalités de l'époque.

La population, dans sa quasi-totalité, est chrétienne: la seule minorité religieuse est formée par les juifs, pour qui le règne de Saint Louis est une période plutôt clémente. Aux yeux des Français du XIIIe siècle, la vie terrestre n'est qu'un passage. Ce qui compte, et ce qui compte jusqu'à l'obsession, c'est de sauver son âme. D'après l'Église, le purgatoire est un lieu où sont expédiés, pour un temps plus ou moins long, les êtres humains qui sont morts en état de péché - sans être chargés de péchés mortels qui les enverraient en enfer. La société de l'époque vit donc à la fois dans le souci d'échapper au purgatoire et dans la consolation de savoir qu'il existe, puisqu'il permet d'accéder au paradis sans attendre le Jugement dernier. Le temps passé au purgatoire dépendant des prières, des messes et des aumônes émanant de la famille des morts ou des confréries dont ils faisaient partie, cet aspect de la pratique qui a recours à l'Église tient une place considérable. Les ordres mendiants, au cours de leurs prêches, incitent les chrétiens à se convertir - c'est-à-dire à soutenir un effort permanent en vue de leur salut éternel. Ils bénéficient d'un fort prestige. Dans les villes, toutefois, certains les considèrent comme envahissants, par rapport aux moines qui vivent à l'écart.

Trois sacrements de l'Église s'affirment à cette époque, avec une incidence sur la vie des gens. D'abord la confession, par laquelle les prêtres s'exercent à poser des questions aux fidèles sur leurs éventuels péchés. Ensuite la communion. Si elle n'est obligatoire, tout comme la confession, qu'une fois l'an, la dévotion à l'Eucharistie devient quasiment quotidienne. C'est d'ailleurs sous le règne de Saint Louis que la papauté, en 1254, institue la Fête-Dieu, qui est une ostension spectaculaire de l'hostie consacrée. Troisième sacrement qui prend de l'importance: le mariage. En 1215, celui-ci a été proclamé indissoluble par le quatrième concile de Latran, qui lui a fixé de nouvelles règles. L'indissolubilité interdit les répudiations qui étaient, chez les nobles, des formes subsistantes de polygamie. Mais ce qui est surtout enseigné avec force par l'Eglise - et cela concerne la moitié féminine de la population -, c'est que, désormais, pour que le mariage soit valide, le consentement de l'épouse est aussi nécessaire que celui du mari. La publication des bans, affichés aux portes des églises, autorise celui qui a connaissance d'un empêchement caché (par exemple la consanguinité) de faire obstacle au mariage. Pour la femme, c'est une sécurité supplémentaire.

Les chevaliers

La deuxième grande catégorie, au sein de la société, rassemble ceux qui font la guerre: les chevaliers et ceux qui les entourent, écuyers, palefreniers ou domestiques. Contrairement à ce qu'on croit, ceux-ci n'ont pas une activité militaire constante. La guerre, à cette époque, est périodique. Elle a lieu le plus souvent au printemps, s'arrête pendant l'été et surtout en hiver. À côté des activités guerrières, la chasse, elle, est une activité permanente. Elle permet, bien sûr, de fournir en gibier les maisons seigneuriales, mais elle constitue aussi un exercice physique, un divertissement et un signe de supériorité sociale, puisque seuls les nobles peuvent chasser. Elle revêt d'autant plus d'importance que l'Église, également lors du quatrième concile de Latran, a interdit les tournois, qui ne reprendront qu'au XVe siècle. Pour leur distraction, les seigneurs ont également à leur disposition les danseurs, les acrobates et les chanteurs, qui se produisent lors des festins.

Au XIIe siècle, les croisades étaient une activité militaire de premier plan: un seigneur n'accomplissait sa vocation de chevalier chrétien que s'il allait à la croisade au moins une fois dans son existence. Au XIIIe siècle, Saint Louis part en croisade en 1248 (il en reviendra six ans plus tard, après avoir guerroyé en Égypte et en Palestine) et à nouveau en 1270 - il y laissera la vie. Si la croisade a été l'une des grandes pensées du règne, c'est une passion qui décroît peu à peu dans la société. Est-ce un hasard si la huitième croisade, celle où Saint Louis meurt, est aussi la dernière?

Le tiers état

Le troisième ensemble au sein de la société, à la ville comme à la campagne, est formé par ceux qui travaillent. Les paysans constituent 80% de la population. Leur condition s'améliore du fait de progrès techniques, comme la diffusion de la charrue à roue et à versoir, ou celle du collier d'épaule, qui permet de faire labourer les champs non plus seulement par des bœufs, mais par des chevaux, dont la puissance est supérieure. Les surfaces de culture s'étendent, parce que c'est une période de défrichement. Les surfaces consacrées aux céréales se répandent, notamment en ce qui concerne le froment: le pain blanc entre dans l'alimentation ordinaire. Dans un nombre croissant de régions, le rendement des terres augmente, en particulier grâce à l'assolement triennal. D'une manière générale, les famines disparaissent (elles reviendront malheureusement au XIVe siècle).

En dépit de ces progrès, le travail demeure largement dépendant de la nature. Les calendriers qui ornent les psautiers donnent une idée réaliste de la vie quotidienne des paysans. Hors une longue période hivernale de repos, chaque mois correspond à une activité particulière: les périodes de taille de la vigne, de fenaison, de moisson, de vendange ou de semailles rythment la vie des campagnes.

Les artisans, selon leur spécialité, sont regroupés en communautés, qu'on appellera plus tard des corporations. Au XIIIe siècle, on les appelle des métiers. Ceux-ci sont à leur apogée: Saint Louis confie au prévôt de Paris, Etienne Boileau, le soin de les recenser dans Le Livre des métiers, ouvrage qui, aujourd'hui, nous permet de connaître en détail l'organisation de l'artisanat à cette époque. Les métiers sont fragmentés: rien que pour le travail des métaux, il en existe une centaine.

La mécanisation s'ébauche: des moulins de toutes tailles fournissent en eau, à bon marché, un nombre croissant de métiers, grâce à l'invention d'un système mécanique, la came, qui transforme le mouvement régulier en mouvement alternatif. Il existe des scieries hydrauliques pour le bois et des moulins pour le tannage des peaux, le foulage des draps ou la taille de la pierre. Leur bruit est familier aux citadins: les villes sont de petites Venise, car on a canalisé les ruisseaux et les rivières et construit des canaux pour nourrir en eau les habitants, et faire marcher les moulins.

En dépit de la prospérité, les mendiants sont nombreux. Le roi en personne accorde une très grande importance aux aumônes et à la charité. Mais on croise d'autres marginaux: les lépreux. Maladie répandue, la lèpre fait peur. Elle disparaîtra au XIVe siècle, mais pour céder la place à la peste, qui sera plus cruelle encore. Les gens du Moyen Âge croient, ce qui est médicalement faux, que la lèpre est contagieuse. Les lépreux vivent donc relégués: dans presque toutes les agglomérations, des maisons, les maladreries, leur sont réservées. Ils n'y sont pas enfermés, mais elles se situent aux lisières des villes. Ces maisons sont placées sous la protection de sainte Madeleine, d'où le toponyme de «madeleine» qui s'est conservé jusqu'à nos jours (ainsi près de Lille) et qui désigne des endroits où vivaient jadis des lépreux.

Les échanges

Il faut corriger l'image, longtemps attachée au Moyen Âge, d'un monde immobile. Sous Saint Louis, les gens se déplacent beaucoup. Une partie de la population change de lieu d'habitation au fur et à mesure du défrichement des forêts. Des paysans s'installent en ville, d'autant que, dit l'adage, «l'air de la ville rend libre»: à la fin du règne de Saint Louis, le servage a pratiquement disparu. Paysans ou citadins se rendent dans les foires, notamment les foires de Champagne. Enfin, les gens se déplacent pour effectuer des pèlerinages. Si les trois principaux lieux de pèlerinage de la chrétienté sont Jérusalem, Rome et Saint-Jacques-de-Compostelle, le plus grand pèlerinage de France est le sanctuaire marial de Chartres. On se rend aussi à Notre-Dame de Rocamadour, y compris en provenance de la France du Nord, ce qui illustre la force du culte de la Vierge à cette époque. Tous les lieux où sont conservées des reliques exercent une grande attraction.

Les voyages maritimes deviennent aussi plus faciles, notamment grâce à l'usage de la boussole et à l'invention du gouvernail d'étambot, qui est mobile et placé dans l'axe du navire, ce qui augmente sa vitesse. Les hommes du Moyen Âge, toutefois, ont peur de la mer, qu'ils pensent agitée par Satan: le naufrage est une des morts les plus redoutées.

Citadins ou ruraux se contentent d'une nourriture peu variée et peu raffinée: la gastronomie ne fera son apparition qu'au XIVe siècle. Le plat principal du paysan, c'est la bouillie. La consommation de viande est relativement importante. Néanmoins, en raison des prescriptions religieuses en matière de jeûne (le vendredi est un jour maigre, tout comme la période de l'avent, précédant Noël, et du carême, avant Pâques), le poisson est un mets plus usuel. On boit du vin, de la cervoise (c'est-à-dire de la bière) dans le Nord et l'Est, ou du cidre. Mais l'aspiration à une vie meilleure se traduit par le plaisir du carnaval (période où, comme l'indique l'étymologie, on mange de la viande), et par le mythe du pays de cocagne: dans cet endroit imaginaire, il n'est nul besoin de travailler pour avoir de quoi manger, et les semaines comptent quatre jeudis (le jeudi, au Moyen Age, est un jour de fête).

La vie au quotidien

En matière d'habillement, on voit apparaître une certaine recherche d'élégance. Le métier à tisser se propage, ce qui vaut au drap de qualité de se répandre. Grâce à la teinture, les vêtements se mettent à la couleur. Le pastel, ou guède, est cultivé systématiquement au moyen de l'assolement triennal: on en tire le bleu, qui se développe d'autant plus que c'est la couleur de la Vierge, et aussi la couleur de la monarchie.

L'habitat, lui, ne connaît guère de progrès: même les châteaux sont peu confortables. Dans les demeures bourgeoises, on trouve peu de meubles. Partout sévissent une mauvaise lumière et une mauvaise aération: les maisons sont sombres et enfumées. En revanche, l'hygiène existe: les gens du Moyen Âge sont propres. Le bain est extrêmement répandu, et devient de plus en plus fréquent. On se lave dans des baquets en bois (y compris chez les paysans) ou on fréquente les étuves. Celles-ci, cependant, sont souvent un lieu de prostitution, pratique tolérée par l'Église. La médecine a des connaissances limitées, mais on construit des hospices. À Paris, il y en a six, dont les Quinze-Vingts, un hôpital pour aveugles fondé par Saint Louis.

Dans cette société où la religion est omniprésente, le temps s'organise autour du cycle liturgique. Les grandes fêtes - Noël, la Chandeleur, Pâques, les rogations, la Toussaint, le jour des Morts - sont des fêtes chrétiennes. Ces fêtes sont nombreuses et entraînent abstinence: abstinence sexuelle, comme le demande l'Église, et abstinence de travail. Le nombre de jours chômés avoisine le tiers de l'année, ce qui est considérable. Des écoles existent dans la plupart des villes et dans les bourgs, y compris des écoles pour filles, pourvues de maîtresses: 30 à 40% de la population est scolarisée. Mais ces écoles sont fermées pendant les fêtes. Sous Saint Louis, les enfants ont davantage de jouets, et les étudiants prennent un mois de vacances.

 

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