Une interrogation sur les défis auxquels les prédicateurs médiévaux furent confrontés en termes de technique de communication. Chargés de transmettre une vision intelligible de la religion au plus grand nombre, ils furent nombreux à penser le rapport aux normes culturelles, à l'efficience de la réception et à la possibilité de la ré-interprétation dans l'élaboration de leurs sermons. ©Electre 2021
Quand l'Église comptait trois papes
1 On ne peut que se réjouir de la réunion d’une quinzaine d’articles de Nicole Bériou, dispersés dans des publications françaises et étrangères (Belgique, Italie et France, entre 1990 et 2015), dans ce petit livre extrêmement bien pensé. Cet « autre regard sur la prédication » est celui d’une historienne (professeur émérite à l’Université de Lyon 2), laïque, récemment élue à l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, alors que longtemps la prédication « était le territoire de recherche d’hommes d’Église » (p. 12). Sa perspective est celle d’une histoire religieuse, intellectuelle et culturelle, qui explore la place et le fonctionnement de la prédication en tant que médias de masse dans la société médiévale.
2 Les articles et communications à des colloques ont été regroupés de manière thématique. Une première partie (« La prédication dans le système de communication ») évoque les techniques de la prédication : la communication pastorale qui connait un tournant au xiiie siècle (décrit par un prédicateur de renom appartenant à l’Église séculière, Jacques de Vitry, contemporain de l’essor des ordres mendiants), les liens avec la liturgie, l’usage des images et du bilinguisme dans les sermons et, enfin, la conception de la musique chez les prédicateurs. La deuxième partie (« Rendre présent l’invisible ») décrit les manières d’inculquer au peuple illettré quelques notions du catéchisme de base : la figure et les fonctions de l’ange, le Christ pèlerin d’Emmaüs, l’eucharistie et l’intercession dans les sermons de la Toussaint. La troisième partie (« Des saints façonnés par la parole ») est plus spécifiquement hagiographique : elle évoque, à différentes échelles, le culte de grandes figures. Tout d’abord celles liées à des villes particulières : sainte Marie Madeleine dans le cadre parisien au moment de la dédicace d’une église à son nom et saint Pierre en tant que patron de la ville de Pise au xiiie siècle. Le lien entre un saint et l’ordre qu’il fonda est analysé pour saint François, nouvel apôtre stigmatisé et prophète de son ordre, et sainte Claire d’Assise, encore peu connue dans l’espace français vers 1260. L’archange saint Michel, figure tutélaire, n’est jamais évoqué comme peseur des âmes dans les sermons ; tandis que saint Barthélemy, moins connu, a subi un martyre spectaculaire : l’écorchement.
3 L’ouvrage fourmille de données le plus souvent de première main généralement issues de manuscrits encore non publiés. Il donne vie à de nombreux prédicateurs identifiés (Pierre le Chantre, Pierre de Limoges, Federico Visconti, entre autres) et à une foule d’anonymes dont les paroles et parfois les gestes ont été recueillis de première main par des reportateurs, puisque Bériou fait son miel non seulement des sermons modèles ou retranscrits par écrit par leurs auteurs, mais surtout des notes d’auditeurs, qui nous livrent la prédication effective. Celle de Bernardin de Sienne, accompagné de sa fameuse tablette, faisait l’objet d’une véritable théâtralisation (p. 61-62).
4 Ces pages donnent également accès à des pans entiers de la vie des médiévaux. Pour ne prendre que quelques exemples, on y apprend grâce au sermon prononcé le vendredi saint de l’année 1272-1273 par Gilles du Val-des-Ecoliers, que la « hachée » était un rituel d’humiliation (porter en public un objet incongru) conduisant à une mort symbolique (p. 81). La Passion du Christ est comparée à ce rituel étonnant. On y apprend aussi que le cochon de saint Antoine était dénommé charité (p. 81). Au-delà de l’intérêt anecdotique de ces mentions, ce sont les catégories de pensée des médiévaux, leur imaginaire et leurs traductions pratiques qui affleurent.
5 Le lecteur se repère aisément dans cet ouvrage grâce aux différents index : index biblique, index des personnes et index des auteurs contemporains. Un index matière aurait été pratique, mais la structure claire du volume permet de rapidement repérer les thèmes qui peuvent intéresser un vaste public. De plus, des images (sculptures, vitraux, enluminures) clairement légendées et des textes sont donnés soit au fil des textes soit dans de riches annexes. On ne peut que recommander la lecture de ce précieux livre, qui convaincra ceux qui en auraient encore besoin de tout ce que l’étude des sermons peut apporter aux historiens et aux anthropologues.
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