Textes traduits du grec ancien, du latin, de l'arabe, de l’arménien, de l'hébreu, du slavon et du syriaque. Traductions de différentes langues par un collectif de traducteurs
Premiers : les plus anciens de ces textes sont immédiatement postérieurs aux derniers écrits des apôtres (fin du l° siècle) ; les plus tardifs se situent à la frontière du II° et du III° siècle. Le corpus commence avec des hommes qui ont connu les apôtres : Clément de Rome fut proche de Pierre. Il prend fin avec les disciples de leurs disciples : Irénée de Lyon se réclame de Polycarpe de Smyrne, qui avait connu Jean. – Certains témoignages et quelques poèmes sont moins anciens.
Écrits : les auteurs, «Pères de l'Église» pour la plupart, ne cherchent pas encore à bâtir une œuvre. Ils disent qui ils sont, comment ils vivent et meurent, ce qu'ils croient. Leurs textes adoptent les formes les plus variées : lettre, récit, traité, dialogue, discours judiciaire, poème... formes empruntées à la littérature de leur univers culturel, l'hellénisme, à moins qu'elles n'aient des parallèles dans la littérature juive, comme les actes de martyrs, dont l'Ancien Testament offre l'archétype. Pour exprimer les réalités nouvelles, les vieux mots changent de sens : baptizein, «immerger », devient «baptiser» ; ekklesia, «assemblée », signifie désormais «église».
Chrétiens : la période est celle de l'autodéfinition du christianisme. Le terme apparaît autour de 117, chez Ignace d'Antioche. C'est le temps de la séparation, plus ou moins rapide et marquée selon les aires culturelles, d'avec le judaïsme. Se constituent peu à peu des usages liturgiques, des règles communautaires, un canon des Écritures, des doctrines qui formeront le dogme de l'Église «catholique», c'est-à-dire universelle.
Naissance d'une religion, d'une Église, d'une littérature. À la fin du II° siècle, sous l'œil des «païens» et des juifs (dont on présente aussi, en ouverture, les témoignages), l'Église est en passe d'unifier ses usages et d'installer ses institutions. Le christianisme a trouvé sa place dans la société. Il a propagé ses idées dans le monde intellectuel. De cette aventure, car c'en est une, les Premiers écrits chrétiens retracent les divers aspects, d'une manière extraordinairement vivante
Les premiers écrits chrétiens entrent dans la Pléiade
Les écrits des premiers chrétiens entrent dans la Pléiade. Une manière d’honorer la littérature d’une religion qui, du IIe au IIIe siècle, est en cours de définition.
Premiers écrits chrétiens, Édition publiée sous la direction de Bernard Pouderon, Jean-Marie Salamito et Vincent Zarini, la Pléiade, 1648 p., 58 euros
Les commencements font toujours l’objet d’une affection et d’une attention particulières. Cela est valable pour les individus comme pour les corps collectifs. On aime chercher dans le moment de la naissance la nouveauté, la fraîcheur, la singularité de ce qui se déploiera plus tard avec le temps.
Nul doute que les Premiers écrits chrétiens, désormais publiés dans la collection de la Pléiade, exerceront cette force d’attraction. Ces textes ont été composés entre les années 90 et les alentours de 200. Les plus anciens sont immédiatement postérieurs aux derniers écrits des Apôtres. Les plus tardifs sont de la plume d’hommes qui ont fréquenté leurs disciples directs. Beaucoup d’entre eux étaient déjà accessibles, en intégralité, dans la savante collection des Sources chrétiennes, publiée au Cerf. Les voici disponibles dans une édition plus « ramassée » (plus de 1500 pages tout de même !).
Pères de l’Église ou pas, auteurs identifiés ou anonymes, leurs auteurs se concentrent sur un effort d’autodéfinition du christianisme. « Dans cet Empire où ils se déclarent adorateurs d’un Dieu unique à la manière des juifs, mais où ils n’ont ni l’ancienneté ni l’ancrage ethnique de ceux-ci, les chrétiens doivent expliquer à leurs contemporains qui au juste ils sont », souligne l’historien Jean-Marie Salamito, qui a dirigé avec ses confrères Bernard Pouderon et Vincent Zarini l’édition du volume.
Ces chrétiens qui refusent de sacrifier à l’empereur
Certes, les chrétiens ont été désignés à Antioche, vers la fin des années 30, par le nom grec christianoi, qui signifie « serviteurs du Christ ». Mais ce Christ, ce Messie d’Israël, est pour les polythéistes gréco-romains une réalité bien vague ! « Il faut donc, pour échapper à l’étiquette “superstition”, se parer d’appellations intelligibles », poursuit Jean-Marie Salamito. Les efforts des chrétiens consistent « à se distinguer des juifs tout en se glissant dans des catégories admises par les païens ». D’où leur choix de se présenter comme les tenants d’une « philosophie », terme qui à l’époque désigne à la fois une doctrine et un mode de vie.
Il faut dire qu’ils sont suspects, ces chrétiens qui refusent de sacrifier à l’empereur. Pour les années concernées par ces écrits, « à défaut d’être constamment poursuivis, ils vivent avec le risque permanent d’être dénoncés par un voisin ou pris pour cible par une foule en colère », rappelle Jean-Marie Salamito.
D’où la nécessité, encore et toujours, de se justifier face à l’accusation d’athéisme. « Nous ne sommes (…) pas des athées, nous qui adorons l’artisan de cet univers, nous qui affirmons, comme on nous l’a enseigné, qu’il n’a nul besoin de sang, de libations et d’encens (…) », se défend Justin de Naplouse dans son Apologie pour les chrétiens. « Qui donc ne serait pas dans l’embarras en entendant appeler athées ceux qui admettent un Dieu Père, un Fils Dieu et un Esprit Saint », plaide comme en écho Athénagore d’Athènes, dans sa Supplique au sujet des chrétiens.
« Le jour part, la nuit arrive »
La doctrine chrétienne est alors en cours de définition. Les points de convergence émergent, dans un débat incessant avec le judaïsme : la confession d’un Dieu unique, créateur de toutes choses ; l’identité du Dieu de la Bible et de celui que prêche Jésus ; la reconnaissance de la divinité du Christ, fils de Dieu, et de son humanité ; la foi en la résurrection du Christ ; l’attente de son retour dans la gloire, l’espérance de la résurrection et de la vie éternelle.
Cela étant dit, il faut trouver des mots pour donner à comprendre ces « dogmes », qui n’en sont pas encore. Tenir un langage de foi et de raison, à destination des membres de la communauté chrétienne comme de son extérieur.
« Je ne proclame pas des choses étranges, ni ne cherche rien de déraisonnable », annonce presque comme une déclaration de foi l’auteur anonyme de l’Épître à Diognète, soucieux de parler un langage intelligible par tous. Clément de Rome témoigne de cette recherche langagière à propos de la résurrection, utilisant l’image du jour et de la nuit pour la faire comprendre.
« Considérez, mes bien-aimés, comment le maître nous montre continûment qu’il y aura la résurrection à venir, dont il a produit les prémices lorsqu’il a ressuscité des morts le Seigneur Jésus-Christ. Regardons, mes bien-aimés, la résurrection qui advient en son temps. Jour et nuit nous montrent la résurrection : la nuit se couche, le jour se relève ; le jour part, la nuit arrive. »
Un formidable témoignage de métissage et de dialogue
Proche et lointain, voilà comment apparaît le christianisme que ces textes déploient. Proche par sa foi vive dont on pressent qu’elle enjambera les siècles. Proche aussi par le souci des auteurs de parler juste et clair dans une société qui ne les attend pas. Plus lointain, en revanche, par l’impression qu’ils donnent d’avoir tout à construire, tout à justifier, alors que nous avons hérité de deux millénaires de sédimentation théologique.
Ces écrits sont enfin un formidable témoignage de métissage et de dialogue, parfois âpre, avec le judaïsme et la culture grecque. « Les premiers chrétiens n’ont pas tout inventé : ils ont scruté sans relâche les livres saints d’Israël ; ils ont admiré, même pour la critiquer la culture profane de leur temps, soulignent les trois éditeurs. Si les racines de l’Europe sont, comme on le dit, chrétiennes, les racines des chrétiens sont juives et gréco-romaines. L’Autre est dans le Même, dès le commencement. » C’est une leçon encore à méditer, près de vingt siècles plus tard.
Aux origines du christianisme
En mettant sur le même plan des livres sacrés comme ceux de la Bible et des écrits considérés comme apocryphes, la Bibliothèque de la Pléiade incite le lecteur à les considérer tous comme de même nature, désacralisée, et à porter sur eux le regard distancié de l’historien des idées religieuses. C’est encore plus net quand sont rassemblés des textes de toute sorte dont l’unique point commun est d’avoir été écrits par des chrétiens des deux premiers siècles.
Premiers écrits chrétiens. Édition publiée sous la direction de Bernard Pouderon, Jean-Marie Salamito et Vincent Zarini avec la collaboration de Gabriella Aragione, Guillaume Bady, Philippe Bobichon, Cécile Bost, Florence Bouet, Marie-Odile Boulnois, Catherine Broc-Schmezer, Marie-Ange Calvet Sebasti, Matthieu Cassin, François Cassingena-Trévedy, Frédéric Chapot, Rose Varteni Chetanian, Laeticia Ciccolini, Hélène Grellier Deneux, Steve Johnston, Marlène Kanaan, Sébastien Morlet, Thierry Murcia, Pierre Pascal, Marie-Joseph Pierre, Jean Reynard et Joëlle Soler. Index de Jérémy Delmulle. Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1648 p., 58 euros.
Après avoir proposé une traduction de la Bible, la Bibliothèque de la Pléiade a consacré quatre magnifiques volumes à des textes qui auraient pu figurer dans le canon officiel des livres reconnus par les Églises chrétiennes si les débats qui ont conduit à son élaboration avaient tourné autrement. Certains de ces livres sont contemporains de la vie terrestre de Jésus ou un peu antérieurs ; les éditeurs les ont qualifiés d’intertestamentaires. D’autres ressortissent à la mouvance gnostique, qui fut explicitement rejetée par la Grande Église. D’autres encore, qui se présentent comme des Évangiles ou des Actes, ne relèvent pas d’une mouvance clairement déterminée mais sont qualifiés d’apocryphes parce qu’ils n’ont pas été retenus dans le canon, sans que l’on sache toujours très bien pourquoi. À chaque fois, les éditeurs ont accompli un travail scientifique novateur et précieux grâce auquel les manuscrits de la mer Morte et ceux de Nag Hammadi ont été présentés au grand public francophone très peu de temps après la découverte inattendue de ces bibliothèques antiques. Les Premiers écrits chrétiens qui nous sont aujourd’hui proposés ne relèvent qu’à première vue d’une perspective comparable.
Point cette fois de bibliothèque découverte dans le désert, point non plus de ces narrations qu’on lut avec délice au Moyen Âge au même rang que les innombrables hagiographies. On est cette fois devant les défenseurs de ce qui n’était pas encore l’orthodoxie mais était en passe de le devenir. Si ces livres relèvent de genres divers, aucun ne prétend faire mieux connaître tel aspect de la vie de Jésus, de sa famille ou des apôtres. Écrits après la mort des témoins directs de l’existence terrestre de Jésus, ils sont antérieurs à l’élaboration de la doctrine par les Pères et à sa fixation par les conciles des IVe et Ve siècles. Leurs auteurs tiennent pour acquis le message évangélique, non seulement dans sa vérité générale mais même dans les détails narratifs, message qu’il s’agit plus de propager que d’affiner. Plusieurs de ces livres eurent un retentissement considérable ; certains, comme l’Épître de Barnabé ou le Pasteur d’Hermas, ayant été tenus en aussi haute estime que ceux qui allaient constituer le Nouveau Testament.
Du coup, ces Premiers écrits chrétiens ne se présentent pas davantage comme une édition scientifique propre à renouveler la connaissance de la lettre de ces textes que n’étaient les trois volumes consacrés à la Bible. Il n’y a pas à le reprocher à ses éditeurs : ceux-ci ne se cachent pas d’utiliser les éditions scientifiques déjà publiées – dont ils peuvent aussi bien avoir été les responsables – et aisément disponibles pour la plupart des textes en cause. C’est le cas dans les collections bilingues « Budé » des Belles Lettres pour l’Octavius de Minucius Felix ou l’Apologétique de Tertullien, et « Sources chrétiennes » du Cerf, pour la plupart des autres textes repris ici. La seule exception d’importance est le Dialogue avec Tryphon de Justin dont la traduction française de l’édition scientifique est encore à venir dans la collection « Sources chrétiennes ». Ceux qui se contentent de la traduction avaient déjà accès au Contre les hérésies d’Irénée dans lequel l’évêque de Lyon « dénonce et réfute la gnose au nom menteur ». Les traductions des plus anciens, et sans doute les plus surprenants, de ces livres ont été rassemblés dans la même collection « Sagesses chrétiennes » du Cerf, sous le titre Les Pères apostoliques. C’est le cas en particulier de l’Épître de Barnabé, du Pasteur d’Hermas ou encore de l’Épître aux Corinthiens de Clément de Rome.
Celui qui s’intéresse à ces questions connaissait déjà ces textes mais perdait parfois beaucoup de temps pour retrouver chez Tacite ou Suétone des traces d’allusions au christianisme. Désormais, le passage – quelques lignes, généralement – lui est présenté, avec sa référence précise. Il ne peut donc plus se glorifier d’avoir retrouvé cette référence négligée : son travail est désormais prémâché !
L’intérêt principal de ces Premiers écrits chrétiens ne vient donc pas de ce qu’il révélerait mais de l’effet produit par ce rassemblement même. On retrouve ainsi ce qui avait été l’esprit originaire de la collection quand elle avait pour ambition de recueillir dans de commodes volumes de petit format plusieurs livres d’un auteur classique. Toute la Comédie humaine tenait ainsi en dix volumes seulement, tout Shakespeare en deux volumes, comme les romans de Stendhal ou de Flaubert. De même que beaucoup découvraient à cette occasion que l’auteur du Rouge et le Noir avait aussi écrit Le Rose et le Vert, le lecteur assidu de Tertullien et d’Irénée découvre cette fois Théophile d’Antioche ou Athénagore d’Athènes dont le petit traité Sur la résurrection des morts a tout pour exciter notre curiosité, avec ses considérations sur la digestion et sur l’anthropophagie.
Rendant un incontestable service aux esprits curieux de cette période fondamentale de notre histoire, ce volume des Premiers écrits chrétiens, du fait même qu’il est publié dans cette collection, produit aussi un effet idéologique qui n’est pas le moindre de ses mérites. L’Église tente de faire accroire que sa doctrine serait sortie tout armée des textes néotestamentaires comme Athéna du front de Zeus. La vérité aurait été proférée par les évangélistes et les apôtres, et tous ceux qui s’en éloigneraient si peu que ce soit seraient des hérétiques malintentionnés. L’histoire montre avec évidence qu’il n’en est pas allé ainsi, à quoi on pourrait ajouter que, si l’Église voulait bien le reconnaître, ce à quoi elle persiste à se refuser, elle en sortirait grandie et nullement amoindrie. La réalité historique, que ce volume donne à percevoir par son existence même et la façon dont il est conçu, est que ce qui a fini par devenir la doctrine chrétienne a fait l’objet d’une lente élaboration qui s’est poursuivie plusieurs siècles durant. Une date raisonnable serait le concile de Nicée, en 325, soit trois siècles après la Crucifixion et une douzaine d’années après l’édit de Milan par lequel Constantin ouvrait la porte à l’institutionnalisation de l’Église. C’est seulement à compter de cette date que celle-ci est dotée d’une doctrine officielle, et que, par conséquent, on peut distinguer l’hétérodoxie de l’orthodoxie, et donc qualifier certains d’hérétiques au sens où la position qu’ils défendent diverge par rapport à l’officielle. Auparavant, ni ortho- ni hétérodoxie, seulement des théoriciens qui cherchent à élaborer une théologie digne de ce nom et du message christique.
Sur plusieurs points précis, les responsables de cette édition font justice d’idées reçues. C’est ainsi qu’ils insistent à juste titre sur le fait que, contrairement au judaïsme, le christianisme n’est pas une religion du Livre. Il est fondé sur deux choses qui méritent d’être distinguées : d’une part l’enseignement de Jésus, d’autre part la double assertion que cet homme est ressuscité des morts et qu’il était aussi Dieu, ce qui justifie que ce Jésus-là soit aussi dit Christ. On peut certes considérer que, comme Shakespeare, Jésus n’a pas existé et que l’enseignement qui est mis dans sa bouche aurait été professé par un autre, lequel aurait eu le rayonnement considérable dont témoigne l’Histoire, à commencer par le pogrome de Néron. Celui qui croit que Jésus est Dieu incarné est logiquement amené à ajouter foi à son discours. Mais on peut aussi voir dans la parole de Jésus une des plus hautes sagesses de l’humanité sans pour autant lui attribuer d’origine divine au sens que les chrétiens donnent à cette notion. C’est ainsi que Porphyre, le premier grand philosophe antichrétien, admettait que Jésus soit qualifié de divin au sens où les Grecs le disaient d’Homère et de Platon : une suréminence de l’humanité.
Quoique l’on n’en tire pas toutes les conséquences, une chose est indiscutée : Jésus n’a pas écrit. Son enseignement a été purement oral, une parole illustrée par des gestes hautement significatifs. De ce qu’il a dit ou fait, il y avait parfois beaucoup de témoins, parfois très peu. Mais ces témoins ont transmis à d’autres le souvenir de ce à quoi ils avaient assisté et, durant plusieurs décennies, il n’y eut d’autre transmission qu’orale. Les Évangiles n’ont été mis par écrit que quarante ou cinquante ans après la Crucifixion, et rédigés par des hommes qui n’avaient pas été témoins directs, ou si longtemps auparavant que leur propre témoignage avait fait l’objet d’une lente réévaluation. Il n’est donc pas surprenant qu’une des difficultés majeures à quoi les premiers chrétiens ont été confrontés ait été de démêler parmi tous les témoignages ainsi transmis lesquels étaient dignes de foi. Et ce n’est pas parce qu’un texte a été rédigé tardivement qu’il serait moins fiable qu’un plus ancien : l’un comme l’autre sont issus d’une tradition orale dont nul ne peut évaluer de façon assurée la validité. C’est seulement au fil du temps et de débats théoriques que l’Institution a effectué le tri qui aboutit à ce que nous connaissons comme Nouveau Testament.
Autre point qui méritait l’éclaircissement que lui apportent les éditeurs des Premiers écrits chrétiens, celui des persécutions, du double point de vue de leur réalité historique et de leur justification. Comme le savent bien les historiens mais contrairement à ce qu’on enseigne, les chrétiens n’ont pas été persécutés continûment jusqu’à l’édit constantinien de tolérance, en 313. Très concentrées aussi bien dans le temps que dans l’espace, les persécutions furent d’emblée un élément central de la propagande chrétienne, parce que l’acceptation de la mort dans les supplices ne peut manquer d’apparaître comme une preuve que le témoin croit vraiment à son témoignage. Son martyre prouve qu’il est bien un martyr au sens de « témoin ». C’est dans cet esprit que saint Ambroise put dire, à la fin du IVe siècle : « nous nous glorifions du sang versé ». Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi les persécutions ont eu ensuite un tel prestige aux yeux des auteurs et des lecteurs des hagiographies composées en un temps où le christianisme était devenu la seule religion admise : on pouvait ainsi raconter de belles histoires.
Il est probable qu’une des motivations de la persécution ait été l’horreur suscitée par cette propension à mourir pour prouver sa foi, cette horreur que nous ressentons nous-mêmes devant le suicide des islamistes radicaux, qui, à leur tour, se glorifient du sang versé. Le sang appelle le sang. Mais cette motivation n’est qu’une parmi toutes celles qui se sont sans doute conjuguées, au rang desquelles il faut évidemment compter la concurrence que le culte chrétien faisait au culte impérial. Les éditeurs de ce volume en avancent une qui est rarement évoquée alors qu’elle est très convaincante, fondée qu’elle est sur la dispense du culte impérial dont bénéficiait le peuple juif. Le nœud du problème n’est donc pas, pour les autorités romaines, une affaire de religion, notion qui n’existait pas dans le sens que nous lui donnons quand nous reconnaissons une pluralité des religions. Les Romains admettent ce qu’ils tiennent pour une bizarrerie du peuple juif précisément parce que cette bizarrerie est propre à ce peuple, comme d’autres bizarreries sont propres à d’autres peuples. Mais les chrétiens ne sont pas un peuple, ils sont partout ; tous sont des convertis et n’importe qui est susceptible de se convertir au christianisme. Il y a donc là quelque chose de menaçant, une sorte de péril intérieur duquel on ne sait pas comment se prémunir. En outre, l’acte même de la conversion est la manifestation d’une liberté individuelle dans des sociétés antiques fondées sur le traditionalisme et, dans le cas de l’Empire romain, très autoritaire.
Ce n’est pas la moindre richesse de ce nouveau volume de la Pléiade que d’éclairer d’une telle lumière ces textes des premiers temps du christianisme, contemporains des persécutions.
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