vendredi 15 avril 2011

Livre - Un monde désenchanté ? - Marcel Gauchet

 


Dans son livre, Le désenchantement du monde, Marcel Gauchet analysait comment le christianisme, dans ses fondations et ses développements historiques, avait contribué à ce que les sociétés occidentales sortent progressivement de l'emprise de la religion. Cette suite examine les conséquences souvent complexes et déroutantes de ce désenchantement. Dans la première partie, les textes réunis répondent aux objections, interpellations ou demandes d'éclaircissements suscitées par Le désenchantement du monde. Les deux autres parties de l'ouvrage traitent de deux points vifs du débat actuel sur le religieux : d'une part, la pertinence du diagnostic de sortie de la religion, compte tenu des phénomènes supposés manifester son "retour" voire annoncer un " réenchantement du monde " ; d'autre part, la place des religions au sein de l'espace public démocratique et de la République laïque.

 

 

1 En 1985, Marcel Gauchet publie Le Désenchantement du Monde, un ouvrage qui marque profondément les sciences sociales des religions et suscite un grand nombre de réactions. Un monde désenchanté ? revient, près de vingt ans plus tard, sur les principales thèses de l'auteur en matière de religion. Cet ouvrage est une recueil de textes, articles et conférences, qui ont en commun de naître des interrogations, objections et critiques soulevées à l'occasion de la publication du Désenchantement du Monde. Un Monde Désenchanté ? composé de trois parties principales, regroupe des textes consacrés à une analyse approfondie des principales thèses de l'auteur et une relecture du Désenchantement du Monde à l'aune de la situation politique et religieuse actuelle.

2 Dans Un Monde Désenchanté ? Marcel Gauchet revient également sur la méthodologie mise en œuvre dans Le désenchantement du Monde et les articles qui le précèdent (réédités dans la Démocratie contre elle-même, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 2002). L'auteur considère en effet l'ouvrage de 1985 comme « un exposé programmatique » dans lequel il pose les bases et les perspectives de ses recherches à venir : le Désenchantement du Monde contient un projet, celui de poursuivre la réflexion entamée dans deux directions solidaires : plus d'abstraction globalisante d'un côté – l'auteur devant s'intéresser aux conditions de l'être-soi et de l'être-ensemble, et plus de proximité avec les données de l'histoire effective –, c'est-à-dire une investigation de quelques cas de figure.

3 Car l'œuvre de Marcel Gauchet ne se réduit pas aux réflexions sur la religion : ce qui l'intéresse avant tout, en tant que philosophe politique, c'est de retracer l'histoire de l'homme démocratique, depuis ses origines jusqu'à ses doutes, afin d'en saisir les caractéristiques. Cette recherche structure profondément son œuvre et explique l'omniprésence de problématiques liées à la religion : si l'on veut comprendre la modernité, il faut la redéfinir rigoureusement en fonction de « la sortie de la religion ». L'étude de la religion est, selon lui, nécessaire à la pensée de la société car lorsque se pose la question du vivre-ensemble, force est de constater l'importance de sa fonction unificatrice : pour Marcel Gauchet, elle est une forme du rapport des hommes à l'être-en-société, un mode d'être-ensemble auquel d'autres modes peuvent se substituer. Si la religion n'est pas une condition nécessaire à l'existence de la société, c'est toutefois une constante des sociétés humaines qu'il s'agit d'appréhender comme phénomène historique défini par un commencement et une fin. La religion constitue « la forme du rejet de l'homme de sa propre prise transformatrice sur le monde », c'est pourquoi l'auteur la définit grâce au concept d'hétéronomie. Il s'oppose ainsi aux philosophes du progrès qui voient l'histoire de la religion comme un développement, un approfondissement de l'expérience divine depuis ses formes les plus confuses (religions primitives) jusqu'à ses formes les plus rationnelles (monothéismes). Il faut, selon lui, inverser la perspective et lire l'histoire à l'envers : la religion la plus complète se trouve ainsi au commencement, là où l'hétéronomie est maximale, tandis que les monothéismes correspondent comparativement à moins de religion. Ainsi, si le monothéisme introduit un rapport nouveau entre l'homme et la divinité, le christianisme implique quant à lui une rupture entre le monde humain et le monde divin, rupture qui rend possible une communion avec Dieu (l'incarnation du Christ et la Trinité constituent à cet égard deux éléments essentiels) et donne naissance à une institution pour guider les hommes dans leur quête personnelle. À partir de là, il est désormais possible de se situer en dehors de cette institution en établissant une relation plus directe avec Dieu ou, même, en refusant l'idée de la divinité. On passe ainsi d'un monde de l'hétéronomie à un monde de l'autonomie, un monde dans lequel les hommes se donnent leurs propres règles. De ce point de vue, le christianisme est donc bien « la religion de la sortie de la religion », ce qui ne signifie pas pour autant « sortie de la croyance religieuse », mais « sortie d'un monde où la religion est structurante, où elle commande la forme politique des sociétés et définit l'économie du lien social » (La Religion dans la Démocratie, Gallimard, Paris, 1998).

4 Toutefois, le passage d'une religion de la réception à une religion de l'adhésion pose un nouveau problème à la société, celui de la relation entre l'autorité spirituelle et la puissance terrestre qui entrent ainsi en concurrence, et aboutit finalement à la construction de la République contre la religion. Le processus de sortie de la religion se poursuit, en effet, de nos jours et l'antagonisme entre autorité spirituelle et puissance terrestre conduit à une rupture profonde dans l'histoire de France, que Marcel Gauchet situe dans les années 1970, au moment où, selon lui, la religion cesse d'être un adversaire crédible pour la République. Modernité politique et modernité religieuse s'influencent donc et se transforment réciproquement, ce qui contribue à réinventer la religion et à lui redonner une fonction au sein de notre société démocratique.

5 C'est cette thèse, développée dans les différents ouvrages et articles de Marcel Gauchet, qui est reprise et approfondie dans Un monde désenchanté ? Cet ouvrage n'est toutefois pas une simple redite des thèses de l'auteur sur la religion, ni même une simple réédition des articles les moins accessibles au grand public, mais un ensemble de textes formant un complément indispensable à la compréhension de la pensée de l'auteur. Un Monde Désenchanté ? constitue donc une lecture indispensable à tous ceux qui s'intéressent, de près ou de loin, aux problématiques religieuses actuelles : les bases de recherche exposées en 1985 dans Le Désenchantement du Monde permettent aujourd'hui à Marcel Gauchet de rendre compte, grâce à une histoire structurale des religions, des caractéristiques actuelles de la religion.

 

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