vendredi 15 avril 2011

Livre - Richesse franciscaine : De la pauvreté volontaire à la société de marché - Giacomo Todeschini

 


Adeptes d’une pauvreté rigoureuse et évangélique, les franciscains sont paradoxalement amenés, du fait précisément de ce choix « scandaleux », à examiner toutes les formes de la vie économique qui se tiennent entre la pauvreté extrême et la richesse excessive en posant la distinction entre propriété, possession temporaire et usage des biens économiques.
Selon quelles modalités les chrétiens doivent-ils s’approprier l’usage des biens terrestres ? Pour répondre à cette question, les franciscains furent nombreux, depuis le treizième siècle, à écrire sur la circulation de l’argent, la formation des prix, le contrat et les règles du marché.
Dans ce cadre, la figure du marchand actif, qui sait faire fructifier par son travail et son commerce un capital –  en soi dépourvu de valeur  – s’affirme positivement dans la mesure où elle contribue à la croissance d’un « bonheur citadin ». À l’opposé, la figure du propriétaire foncier, du châtelain, de l’aristocrate qui conserve pour lui-même, thésaurise et ne multiplie pas la richesse apparaît comme stérile et sous un jour négatif.
La réflexion franciscaine est donc à l’origine, avant même l’éthique protestante étudiée par Max Weber, d’une grande partie de la théorie économique européenne et, en particulier, de l’économie politique qui considère que les richesses de ceux qui forment la communauté civile sont une prémisse fondamentale du bien-être collectif.

Dans ce livre, Giacomo Todeschini écrit dans un style extrêmement limpide, Il démontre que ce sont les penseurs franciscains qui renouvellent en profondeur la façon dont on pense l'économie : engagés dans la pauvreté volontaire mais membres d'un ordre qui ne cesse de devenir plus riche, ceux-ci réfléchissent en effet à la valeur des choses, à la façon dont on peut s'en servir sans les posséder – c'est ce qu'on appelle la théorie de l'usus pauper, l'usage pauvre.

De plus, les Franciscains sont avant tout des prêcheurs, engagés dans un grand mouvement d'ouverture de l'Église aux laïcs – c'est la « révolution pastorale », selon la formule d'André Vauchez   . Ils vont donc chercher à légitimer l'activité commerciale qui occupe une part de plus en plus importante de la bourgeoisie urbaine, cible privilégiée des ordres mendiants. Dans son Traité des Contrats, rédigé à Narbonne, Pierre de Jean Olivi affirme ainsi que les laïcs contribuent à édifier une société chrétienne harmonieuse lorsqu'ils gagnent de l'argent. Il contribue à inventer le modèle du « mercator christianus », le marchand chrétien, qui n'a plus à renoncer à son activité pour pouvoir faire son salut. Cela revient, fondamentalement, à légitimer le marché, à moraliser l'activité commerciale. Ce qui est néfaste, c'est la thésaurisation, laquelle retranche la richesse du marché commun ; au contraire, les marchands la mettent en circulation, ce qui bénéficie finalement à tous.

Les Franciscains inventent ainsi un « cercle vertueux de la richesse », pour reprendre le titre d'un autre livre de Giacomo Todeschini   . C'est dans ce contexte qu'Olivi invente le mot « capital » : le terme désigne la capacité qu'a l'argent de se reproduire et de fructifier lorsqu'on l'investit en permanence. Cela ne veut pas dire pour autant, comme le souligne avec force Todeschini, que les Franciscains inventent « le marché » ou sont les ancêtres d'Adam Smith : c'est en pensant la pauvreté qu'ils contribuent à former des concepts qui deviendront plus tard fondamentaux dans la construction d'autres théories économiques.

Dès 1988, Giacomo Todeschini pointe donc deux choses : d'abord, que, contre la théorie de Max Weber d'un capitalisme lié à l'esprit du protestantisme, les racines de la pensée médiévale moderne plongent dans les écrits théologiques de la période médiévale. Ensuite et surtout, que cette « économie politique » qui s'invente dans les années 1280-1300 est indissolublement liée à une théologie politique : derrière les notions de marché, de profit, de risque, de crédit et de capital joue le schéma d'une société parfaite, entièrement orientée vers Dieu. Et cela contribue puissamment, évidemment, à sacraliser ces notions, ce qui explique aussi la difficulté qu'il y a, aujourd'hui, à les remettre en cause.

Giacomo Todeschini 1950 Professeur à l’université de Trieste et historien de la pensée économique médiévale.

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